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2002-2012 : le bilan de la politique de sécurité de Nicolas Sarkozy

par Laurent Mucchielli

16 janvier 2012

2002-2012 : le bilan de la politique de sécurité de Nicolas Sarkozy

C’est un rituel : chaque année, vers le milieu du moins de janvier, le ministre de l’Intérieur présente à la presse les « chiffres de la délinquance » de l’année écoulée. Ce 17 janvier 2012, Claude Guéant va donc sacrifier à la tradition. Cette tradition veut aussi que le ministre de l’Intérieur transforme ce bilan en un exercice de communication politique célébrant les vertus de sa « volonté politique » qui aura su imposer aux forces de l’ordre un travail toujours plus efficace et faire ainsi reculer la délinquance.

L’on a déjà à maintes reprises décortiqué les chiffres annoncés, souligné les artifices utilisés pour les rendre favorables, rappelé comment ils sont produits et expliqué au final pourquoi ils ne peuvent malheureusement pas constituer une véritable mesure de l’évolution des délinquances (voir le commentaire du bilan 2010). De plus, la presse a révélé en octobre dernier une note interne du Directeur général de la Gendarmerie nationale, en date du 15 septembre 2011, qui expliquait en détail à ces troupes quelles étaient les consignes du ministère de l’Intérieur pour produire à la fin de l’année les « bons chiffres » (voir par exemple ici et ici). Il faudrait donc être particulièrement ignorant ou hypocrite pour prendre pour argent comptant ceux mis en avant aujourd’hui par Claude Guéant. C’est pourquoi, plutôt que de faire un énième exercice de critique statistique, il a paru ici plus intéressant - à quelques mois des élections présidentielles et législatives - de dresser un rapide bilan des dix années écoulées au cours desquels ce sont les mêmes hommes (l’entourage de Nicolas Sarkozy) qui nous ont gouverné.

Notamment pour ce qui concerne la politique en matière de drogues, M. Etienne Apaire avant de devenir le remplaçant du Dr Jayle à la tête de la MILDT était le conseiller juridique de Sarkozy Place bauveau

Des grandes tendances qui ne doivent pas grand chose à la politique menée depuis 2002

La baisse des vols de voitures et des cambriolages a joué un rôle majeur dans la réduction officielle de l’ensemble de la délinquance enregistrée par la police et la gendarmerie. Mais cette baisse avait commencé dans les années 1990, elle s’est juste accentuée dans les années 2000, et on ne voit pas très bien en quoi une politique particulière menée ces dix dernières années en serait responsable. D’autant que, si les enquêtes en population générale confirment la baisse des vols de voiture, les choses sont beaucoup moins claires pour les cambriolages qui semblent plutôt stables dans la réalité, voire en recrudescence ces deux dernières années. En toute logique du reste, depuis 2002, face à une priorité nationale et à une demande sociale croissante, dotés dans un premier temps de moyens matériels et juridiques supplémentaires, les gendarmes et les policiers auraient dû courir davantage après tous ces voleurs qui sont au cœur de la « délinquance de voie publique » qui empoisonne parfois notre vie quotidienne. Mais il faut toujours rappeler que les statistiques de police et de gendarmerie comptent les procès-verbaux et non les délinquants. Dès lors, intensifier les procédures aurait fait augmenter les statistiques, ce qu’il ne fallait surtout pas. Cette contradiction laisse songeur qui veut bien y réfléchir sérieusement.

En effet, le vol à l’arraché d’un téléphone portable -même si une plainte est déposée au commissariat- fera rarement l’objet d’une procédure, tandis que l’usager de drogues contrôlé "en flagrant délit" d’usage et détention ou usage et transport sera quasi automatiquement poursuivi... et l’affaire bouclée d’avance

On ne saurait davantage faire porter au pouvoir politique actuel la responsabilité de la hausse continue des atteintes aux personnes. Elle avait là aussi commencé bien avant 2002 et nous avons expliqué à plusieurs reprises (par exemple dans le cas des violences conjugales) qu’elle résulte principalement d’une judiciarisation croissante d’agressions physiques, sexuelles ou simplement verbales jadis moins dénoncées et qui ne sont pas plus graves que par le passé. Ces agressions, pour la plupart survenues entre personnes se connaissant, sont par ailleurs facilement élucidables, les traiter même si elles sont bénignes (comme de simples insultes constituant des « atteintes à la dignité et à la personnalité », en hausse de 72 % entre 2002 et 2010) permet donc d’augmenter le taux d’élucidation. Cette hausse s’inscrit donc aussi en partie dans le contexte de la nouvelle « culture du chiffre » imposée aux forces de l’ordre.

Si les destructions-dégradations sont en net recul dans les statistiques de police (- 35 % entre 2002 et 2010), on serait mal fondé à y voir une amélioration de la situation sociale et des tensions dans les quartiers touchés par le processus de ghettoïsation. L’ampleur des émeutes (en particulier celles de l’automne 2005) et le degré de violence de certains de leurs épisodes (comme celui de Villiers-le-Bel en 2007) suggèrent au contraire que la situation s’est encore dégradée. En revanche, il est clair que les forces de police ont été réorganisées depuis 2005 et 2007 dans le but de pouvoir intervenir plus rapidement sur les situations émeutières et de les étouffer dans l’œuf en quelque sorte (voir par exemple ici). Par ailleurs, le trafic de drogues s’est encore plus banalisé dans les cités, en liaison directe avec la misère qui est le terreau sans lequel il ne pousserait pas. Mais le pouvoir politique préfère afficher une statistique officielle de baisse des destructions-dé !
gradations, plutôt que s’interroger sur les conséquences de la généralisation de cette économie souterraine de survie. Officiellement les drogues n’existent pas, elles sont interdites. Dans la vie réelle, elles sont consommées de plus en plus et on en trouve partout. Cherchez l’erreur... On l’a déjà expliqué, la prohibition est une politique de l’autruche. Et comme il ne s’agit pas non plus de laisser faire n’importe quoi, il faut emprunter la troisième voie : la règlementation (voir l’article). La France sera bientôt l’un des derniers pays européens à faire semblant de ne pas le comprendre.

Le véritable impact de la politique menée depuis 2002 se situe ailleurs

En réalité, l’impact essentiel de la politique de sécurité menée depuis 2002 est ailleurs. Il tient principalement en trois points.

1- Entre 2002 et 2010, le niveau de répression a très fortement augmenté en matière d’usage de stupéfiants (+ 75 %) et de police des étrangers (+ 50 %). Dans ce dernier cas, il s’agissait de répondre aussi aux objectifs fixés par le pouvoir politique en termes d’expulsions de sans-papiers. Mais si ces infractions ont explosé dans la statistique de police, c’est sans doute d’abord pour une raison pratiques : ces infractions sont par excellence celles qui permettent de produire de « bons chiffres ». Elles permettent en effet d’augmenter le taux d’élucidation : ce sont des affaires élucidées à 100 % puisqu’elles procèdent de contrôles de police sur la voie publique ou de « descentes » dans des lieux ciblés et que les auteurs sont identifiés en même temps que les infractions sont constatées. En d’autres termes, pour remplir les objectifs assignés par le pouvoir politique, les policiers et les gendarmes ont renforcé les contrôles sur leurs « clientèles » habituelles, ils ont fait du chiffre, de la quantité. Bien obligés. Mais parce qu’ils ont verbalisé davantage de consommateurs de drogues et davantage de sans-papiers, les policiers et les gendarmes ont-ils démantelé davantage de réseaux de trafiquants de drogues et de réseaux de travailleurs clandestins ? La réponse est négative. En 2010, les statistiques de police ont enregistré moins de 6 000 procédures pour trafic de drogues, soit deux fois moins qu’en 1998. C’est donc bien sur la piétaille que l’on s’est concentré et non sur les grands bandits.

2- Cette pression mise sur les forces de l’ordre et, concomitamment sur la justice, a provoqué une explosion du nombre de personnes placées en garde à vue, poursuivies et sanctionnées. La plus forte hausse aura été celle des gardes à vue : de 336 718 en 2001 à 580 108 en 2009 (soit une augmentation de 72 %), avant de baisser un peu du fait de la polémique déclenchée en 2010 et qui a conduit à la réforme organisée par le loi d’avril 2011, approuvée par le Conseil constitutionnel en novembre (voir ici). En bout de chaîne, la population carcérale a également fortement augmenté : de 30 % entre 2002 et 2011. Jamais, depuis la Libération, l’on avait autant emprisonné en France et le taux de surpopulation carcérale atteindrait des niveaux très dangereux si le gouvernement n’avait pas, depuis 2008, recouru plus souvent aux bracelets électroniques pour réduire le nombre de détenus. Les rues sont-elles pour autant beaucoup plus sûres aujourd’hui dans les (rares) endroits où elles ne l’étaient guère en 2002 ? Cela est douteux. Sauf en matière de vols de voitures et de deux roues (seule baisse importante avérée), nous avons vu que les enquêtes en population générale signalent par ailleurs des problèmes globalement stables (voir ici).

Photo : controleradar.org

3- Il apparaît que le type de délinquance qui a le plus évolué au cours des années 2000 est en réalité la délinquance routière. Délinquance puisqu’il s’agit de transgressions de la loi, mais délinquance un peu particulière puisqu’elle concerne non pas une minorité de personnes ou de territoires cumulant certains problèmes mais au contraire une majorité de personnes sommées de changer très rapidement leurs habitudes de conduite. Incontestablement le rythme de réduction du nombre de morts et de blessés graves sur les routes s’est accéléré (le mouvement de baisse avait commencé au milieu des années 1970, en liaison avec l’obligation de port de la ceinture de sécurité), mais à un coût social très élevé. En moins de dix ans (surtout depuis des lois de 2003 et 2004), le nombre d’infractions a doublé, la France s’est couverte de radars et le niveau de la répression a changé de braquet. De 2002 à 2009, les infractions au code de la route sanctionnées par les policiers et les gendarmes sont passées grosso modo de 13 à 21 millions (+ 60 %). Celles entraînant un retrait de points sont passées de 1,2 millions en 2002 à près de 6 millions en 2009 (+ 390 %). Plus des deux tiers de ces infractions ayant entraîné des retraits de points sont en réalité des excès de vitesse de moins de 20 km/h, dont les auteurs appartiennent aux deux sexes et sont de tous les âges. Les infractions constatées les plus graves (les délits) sont passées de quelques 257 000 en 2002 à près de 562 000 en 2009 (+ 120 %). Ce contentieux représente désormais plus d’un tiers de l’activité des tribunaux correctionnels (35 % des délits sanctionnés en 2010), ce qui en fait le type de délinquance le plus condamné par la justice (voir ici)

|Rappelons que désormais un peu plus de 10% de la (sur)population carcérale est liée à la délinquance routière. Mais dans la logique sarkozienne n’est-il pas bientôt temps d’envisager les camps d’internement et de rééducation d’automobilistes ? |.

La « guerre à la délinquance » n’a pas eu de vainqueur

En définitive, l’exceptionnelle « guerre à la délinquance » décrétée en 2002 a donc donné des résultats objectivement très décevants. Au bout de dix ans, force est de constater que le conflit n’a pas eu de vainqueur et qu’aucun armistice n’a été signé non plus. Les grands discours ne semblent avoir eu que de petits effets. Si les conducteurs sont beaucoup plus surveillés et sanctionnés et si les petits délinquants (« shiteux », sans-papiers, alcooliques, voleurs et bagarreurs à la petite semaine) qui constituent le gros des clients habituels des policiers et des gendarmes sont davantage réprimés, aucun des grands problèmes de délinquance n’a connu d’évolution radicale ou même très significative. Plus que jamais, la police et la gendarmerie servent avant tout les priorités d’ordre public de l’Etat et non la demande de sécurité des citoyens. Par ailleurs, les délinquances « en cols blancs » semblent quant à elles de moins en moins sanctionnées (voir ici). Plus que jamais la justice s’abat sur les plus faibles.

Voir en ligne : Pour lire l’article original sur son blog du site Le Monde

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