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Cannabis : une culture stupéfiante

Cannabis : une culture stupéfiante

Le 23 avril 2012, l’ancienne garde des sceaux Rachida Dati fait scandale à la matinale de Canal+ : elle porte un gilet dont le dos est orné d’une grande feuille de cannabis. Prise à partie, elle affirme qu’il s’agit d’eucalyptus, puis d’érable. Mais il s’agit bien de la fameuse étoile à sept branches, finement dentelées, de la marijuana. Depuis les années 1970, elle a été représentée sur d’innombrables tee-shirts, vêtements, bijoux, affiches, et se reconnaît au premier coup d’oeil. Elle est l’une des images marquantes de la « cannabis culture ».

Le mensuel américain High Times, qui bataille depuis quarante ans pour la dépénalisation et la légalisation de l’herbe, a beaucoup contribué à développer cette stupéfiante culture. Lancé à New York en 1974 par le journaliste Tom Forçade, le journal était à l’origine un canular : il s’agissait de réaliser une parodie de Playboy en remplaçant les filles nues par des images d’herbe, accompagnées par des sujets sur les psychotropes.

Depuis, High Times continue. Ouvrez n’importe quel numéro, vous y découvrirez, en double page centrale, la photo d’une feuille ou d’un plant de marijuana brillant de résine. Vous y trouverez encore des reportages sur les plantations de cannabis au Maroc ou en Thaïlande et des gros plans sur de nombreuses variétés d’herbe à travers le monde (de la Bahia Black Head à l’Amsterdam Flame) ou des différentes sortes de haschich (du sombre Manali au libanais ambré).

Car le cannabis, comme le vin, a ses appellations et ses terroirs, ses foires internationales et ses dégustations. C’est une véritable sous-culture, tant botanique que psychédélique, mais aussi musicale, littéraire, graphique, cinématographique, avec toute l’imagerie associée : pochettes du rock psychédélique, scènes de films - d’Easy Rider, de Dennis Hopper (1969), à Savages, d’Oliver Stone (2012) -, portraits d’écrivains consommateurs - de Baudelaire à Kerouac - ou de stars fumant - de Bob Marley au rappeur Ice Cube.

Des écrivains qui n’ont pas peur de parler des drogues participent à High Times, comme Charles Bukowski, William S. Burroughs, Truman Capote et Hunter S. Thompson. Venus des comics underground, des dessinateurs au graphisme original les rejoignent. Parmi eux, des futures célérités comme Robert Crumb, Bill Griffith, Paul Kirchner et S. Clay Wilson.

Figure de cette contre-culture, Gilbert Shelton, le dessinateur de bandes dessinées américain qui a créé en 1968 les « Fabuleux Freak Brothers », trio de flemmards flamboyants toujours en quête d’un joint, se rappelle : « Le succès du journal a été immédiat. Ceux de la jeune génération fumaient pas mal à l’époque, tout comme les musiciens qu’ils écoutaient, comme Janis Joplin ou Jimi Hendrix. »

L’ACHETER, C’EST DÉFIER LA PROHIBITION

Début 1980, High Times est diffusé à 500 000 exemplaires et rivalise avec les magazines Rolling Stones et National Lampoon. L’acheter, c’est défier la prohibition. Gilbert Shelton a travaillé trois ans pour High Times. Il raconte : « En 1988, ils m’ont envoyé en reportage à Amsterdam couvrir la "Cannabis Cup", qui désigne la meilleure herbe de l’année. Je devais goûter trente variétés en cinq jours. Le premier soir, j’étais fait ! C’est là que j’ai dessiné cette vue d’Amsterdam sous un ciel de Van Gogh. »

Pour Richard Cusick, l’actuel éditeur associé de High Times (dont la diffusion actuelle est de 140 000 exemplaires), l’image de la feuille de marijuana est devenue universelle parce qu’elle symbolise le droit à l’ivresse et la liberté de s’amuser : « Elle rappelle à beaucoup de gens leur jeunesse, quand ils étaient plus fous. Pour d’autres, elle représente une plante enivrante qui incarne notre connexion à la Terre. Pour moi, elle exprime la liberté et la volonté de ne laisser personne se mêler de notre vie. » Selon lui, la feuille est devenue un des symboles de la culture pop enjouée et impertinente née dans les années 1960 parce que l’herbe « a inspiré l’imagination des créateurs » : « Le roi du pop art, Andy Warhol, a posé en couverture de High Times. Bob Dylan a initié les Beatles à l’herbe, et cela les a renouvelés. Aujourd’hui, le cinéaste Judd Apatow écrit, allumé, des comédies sur des allumés, pour des allumésŠ »

« C’EST DEVENU TRÈS CONSO ! »

Antoine Perpère, commissaire de l’exposition « Sous influences, art plastiques et psychotropes » (qui s’est tenue à La Maison rouge, à Paris, en 2013), ne partage pas cet enthousiasme sur les vertus créatrices du cannabis. « 

Beaucoup d’artistes ont cherché à obtenir des états de conscience modifiée avec les psychotropes, mais la plupart disent que les ¦uvres produites sous l’effet d’une drogue sont décevantes. Il n’y a pas de chef-d’¦uvre réalisé défoncé. » Feuilletant les derniers numéros de High Times, il s’amuse : « Ils montrent surtout comment faire pousser l’herbe, où trouver des graines, où en acheter. C’est devenu très conso ! »

Il a raison. Depuis que, outre-Altlantique, 19 Etats autorisent l’usage médical de la marijuana et que le Colorado et l’Etat de Washington ont légalisé sa consommation, la nouvelle imagerie de la « cannabis culture » tourne au business. High Times montre des bacs hydroponiques pour petits producteurs, des joints électroniques et des vaporisateurs d’herbe dernier cri. La contre-culture a gagné, place aux affaires.

Frédéric Joignot - Journaliste au Monde

LE MONDE CULTURE ET IDEES | 06.02.2014 à 18h08 * Mis à jour le 07.02.2014 à 17h25 |

Voir en ligne : Pour lire l’article original sur le site LeMonde.fr

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