"Le Chanvre"
Poème de André Theuriet paru dans Le Magasin Pittoresque, 1889.
Le chanvre à la feuille palmée,
Le chanvre est en fleur. Dans les airs
Le pollen, comme une fumée,
Ondule au-dessus des brins verts,
Et, comme un vin fort, son haleine
Grise les têtes dans la plaine.
Le chanvre est mûr. Matin et soir
On a fait tremper sa dépouille
Dans l’eau dormante du routoir.
Le voilà prêt pour la quenouille.
Plus rapides que des oiseaux,
Tournez, rouets ; virez, fuseaux !
Comme une souple et tendre chaîne,
Ô fils menus du chanvre fin,
Vous enlacez la vie humaine
Du commencement à la fin,
Du berceau frêle où l’enfant joue
A la tombe où tout se dénoue.
Vous êtes le lange mignon
Qu’on fait blanchir à la rosée,
Le sarrau bleu du compagnon
Et le trousseau que l’épouseée
Porte avec la clé de son cœur
Au logis de l’époux vainqueur.
Vous êtes la nappe dressée
Au coin du feu, les soirs d’hiver ;
La voile par le vent poussée
Sur l’infini bleu de la mer,
Et la tente aux mobiles toiles
Qu’on plante au lever des étoiles.
Ô fils menus du chanvre fin,
Quand viendra la mort, ce mystère,
Vous serez le linceul enfin
Où nos corps iront sous la terre
Engraisser les rouges pavots
Et les brins des chanvres nouveaux.
Poème de André Theuriet paru dans Le Magasin Pittoresque, 1889.
Merci Jiminimix pour cette belle trouvaille.