A l’annonce du résultat du vote du grand Conseil cantonal du Valais, Michel SITBON - actuel président, co-fondateur de Cannabis Sans Frontières- a décidé d’entamer une grève de la faim, en signe de solidarité avec Bernard Rappaz, et pour alerter l’opinion sur la gravité de la situation du chanvrier suisse. Au 3ème jour de son refus d’alimentation, il signait cette contribution pour une publication dans le quotidien la Tribune de Genève.
Lettre à mes amis suisses à propos du refus de la grâce de Bernard Rappaz
Je lis à l’instant un article qui rend compte d’un sondage sur le sort de Bernard Rappaz. Une majorité de citoyens helvétiques serait en accord avec le Grand conseil du Valais pour le laisser mourir… On reste sans voix. Et on voudrait, en écrivant, convaincre : écartez-vous de cette horreur. Vite, tant que Bernard est vivant. Après, vous aurez un crime sur la conscience. Un crime collectif – le plus abject des crimes.
Faut-il vous rendre hommage, dans ce naufrage de la conscience ? Vous avez, certes, innové. L’effroyable refus de grâce voté par une majorité de 90% des élus du Valais, comme le sentiment public colporté par les médias et par ce sondage, abolissent l’idée même de la grève de la faim qui s’adresse à la compassion. Vous répondez : pourquoi aurais-je de la compassion, s’il veut mourir, qu’il meure !
Bernard Rappaz ne veut pas mourir, il veut justice.
L’entreprise qu’il a dirigée, sa ferme, Valchanvre, a été une entreprise légale, publique, extrêmement publique. C’est ce qu’on lui reproche aujourd’hui, en fait.
Bernard est un militant, une figure publique, qui revendique la liberté de cultiver du chanvre. Il se bat pour ce qu’il considère être l’intérêt de l’agriculture suisse, mais aussi pour la santé publique, pour l’écologie.
Bernard n’était pas un trafiquant clandestin, ce au nom de quoi il a été condamné si abusivement. Il n’y a pas fallu de longue enquête de la brigade des stupéfiants pour savoir que cet agriculteur valaisan cultivait du chanvre : c’était dans l’intitulé de son entreprise.
Il commerçait avec des partenaires eux-mêmes légaux, qui agissaient de même publiquement – et n’ont d’ailleurs pas été inquiétés, normalement. Valchanvre, comme ses clients ou ses fournisseurs, déclarait ses revenus et payait des impôts. Beaucoup d’impôts même, en un temps où une vague de tolérance dans la société suisse avait permis à cette entreprise de prospérer.
Puis, cet épisode de tolérance s’étant refermé, Bernard a déjà subi une bien lourde sanction en voyant son activité prospère disparaître. Ne doutons pas qu’il aurait su se reconvertir s’il n’avait été harcelé par la justice. Comme on sait, cela n’a pas été le cas, et Valchanvre a fait faillite. Aujourd’hui, Bernard a même perdu sa ferme.
Où est-il ce terrible trafiquant qui mériterait des années de prison ?
Il n’avait même pas l’argent suffisant pour racheter sa ferme, l’œuvre de sa vie, lorsqu’elle a été vendue aux enchères.
Honte ! Honte à la société suisse, honte aux politiciens, aux élus, aux partis, aux médias, honte à tous ceux qui auront répondu qu’il faut laisser Bernard mourir.
Il n’y a pas de mots pour dire le degré d’abjection qu’atteint là cette société riche et contente d’elle-même, lorsqu’elle ose assumer la mort d’un homme dans un tel contexte.
Ce serait soi-disant pour protéger le Droit qu’il faudrait que Bernard meure ! Ce serait injuste qu’il vive libre quand d’autres sont en prison et purgent leurs peines, nous explique-t-on sans rougir.
Là aussi, rendons hommage à la société suisse d’avoir réussi à produire un syllogisme aussi terrifiant. Le droit stipule qu’une personne qui n’est pas en état d’exécuter sa peine doit en être dispensée. Et si Bernard devait mourir, le système judiciaire et carcéral suisse serait simplement responsable d’un assassinat.
Si Bernard Rappaz en est aujourd’hui au 86ème jour de grève de la faim, c’est parce qu’il a le sentiment d’une injustice.
S’il meurt demain, ce ne sera pas une injustice, ce sera un scandale.
« Pourquoi le ciel ne s’est-il pas écroulé pour venir en aide à ta lutte ? » demande l’écrivain indonésien Putu Oka Sukanta.
Il faut sauver Bernard Rappaz. Mais c’est aussi la société suisse qu’il faut sauver de cette indignité nationale à laquelle elle s’expose, si un cercueil devait sortir de l’hôpital où est actuellement incarcéré Bernard.
Au-delà de la Suisse, c’est la conscience humaine qui serait atteinte.
Si quelques démagogues ont réussi à faire valoir jusque-là que la justice pouvait s’appliquer par-delà toute humanité, le jour où un cercueil sortira de l’hôpital de Genève, c’est la honte universelle qui s’abattra. Dans son déshonneur, l’État suisse entraînera l’idée même de la justice, celle du droit, comme celle de la démocratie, sur laquelle ces politiciens inconscients prétendent fonder la légitimité de leur crime.
Sauvez Rappaz !
Michel Sitbon, au troisième jour de grève de la faim en solidarité avec Bernard Rappaz.
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Pour agir maintenant !
Des solutions existent :
La décision quant à une interruption de peine est de la compétence du département de la conseillère d’Etat valaisanne Esther Waeber-Kalbermatten.
Son courriel | esther.waeber@bluewin.ch |
Aujourd’hui, l’avocat de Bernard Rappaz fait valoir que son client s’engage à subir normalement sa condamnation moyennant une interruption de peine de six mois. Ce délai doit lui permettre à la fois de récupérer et de déménager, notamment ses machines agricoles, puisque sa ferme a été vendue aux enchères récemment.
D’autres solutions existent comme celles soutenues par l’appel de plusieurs personnalités suisses, dont Jean Ziegler, dans lequel ils mentionnent :
« Nous, défenseur-euse-s des droits humains, demandons respectueusement, aux parlementaires valaisans de revoir le jugement de Bernard Rappaz en le graciant afin que la justice puisse commuer sa peine infligée en un arrêt à domicile (par exemple avec bracelet, une loi dans ce sens pourrait être votée en urgence en Valais) ou en un régime de semi-détention pour une durée proportionnelle au délit commis ».