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Un Procureur général suisse à la retraite milite pour la légalisation

Tandis que Bernard Rappaz effectue son 17ème jour de prison sans alimentation

La décision du gréviste de la faim doit être médicalement respectée, selon des règles éthiques. Mais, sur le plan juridique, c’est le flou total. Et les cas de conscience sont nombreux

« Si Bernard Rappaz refuse toute réanimation, je respecterai sa volonté et je le laisserai mourir. » Lâchés il y a quelques jours, ces mots d’Esther Waeber-Kalbermatten, la cheffe du Département valaisan de la sécurité, posent la question : a-t-on légalement le droit de laisser mourir un détenu ? La réponse est oui. Il n’existe pas de texte législatif sur la responsabilité pénale concernant les détenus grévistes de la faim.

Aux cantons et aux offices d’exécution des peines de trancher, au cas par cas. Car comment empêcher un détenu de se laisser mourir de faim ou de soif ? En l’alimentant de force. Ce qui ne va pas de soi. Là, les médecins pénitentiaires sont laissés bien seuls pour décider.

Directives médico-légales

C’est pour aiguiller et aider les médecins pénitentiaires que des directives médico-éthiques ont été mises en place. Sur le plan international, la Déclaration de Malte de l’Assemblée Médicale Mondiale sur les Grévistes de la Faim, révisée en 2004, est la plus aboutie. En Suisse, les directives ont été émises en 2002 par l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM).

L’une comme l’autre prônent une approche respectueuse de la volonté du patient, plutôt que l’obligation de soins, qui pourrait s’apparenter à de la torture. Sa décision « doit être médicalement respectée, même en cas de risque majeur pour la santé, lorsque sa pleine capacité d’autodétermination a été confirmée. »

« Sur le papier, ces directives sont très utiles. Mais dans les faits, elles n’aident pas forcément », indique Reto Gross. Ce médecin sait de quoi il parle ; généraliste, il officie également comme médecin pénitentiaire. C’est ainsi qu’il a été appelé à plusieurs reprises, en décembre 2005, au chevet d’un requérant d’asile guinéen en grève de la faim à la prison régionale d’Altstätten (SG). Le détenu refusait de s’alimenter et de boire et parlait de tentative d’empoisonnement. Devant lui, le médecin a bu l’eau disponible dans la cellule, lui a signifié les risques encourus pour sa santé, et a finalement décidé de son hospitalisation.

Mais le détenu est décédé dans la nuit précédant le transfert, et une plainte pénale pour homicide par négligence a été ouverte par les autorités contre le médecin. Blanchi au terme du procès, Reto Gross en parle aujourd’hui comme d’une trahison : « Je me suis senti complètement abandonné par les autorités cantonales, alors que l’homme est vraisemblablement mort d’une embolie pulmonaire et non pas des suites de son jeûne de résistance. »

« Nous devons empêcher le suicide »

L’année dernière, l’Office zurichois d’exécution des peines a annoncé son intention de nourrir de force René Osterwalder. Ce détenu, transféré dans l’unité carcérale de l’hôpital de l’Ile à Berne, protestait contre le refus de la prison de Pöschwies (ZH) de l’autoriser à conclure un partenariat enregistré avec un codétenu. « Nous avons le devoir d’empêcher toute forme de tentative de suicide des détenus. Cette grève de la faim est plus un moyen de pression qu’un désir de mourir. Et Monsieur Osterwalder est un détenu avant d’être un patient », a justifié l’office zurichois. L’avocat du détenu, lui, a menacé de porter plainte contre le personnel médical pour lésions corporelles. Le détenu a finalement interrompu son jeûne.

L’équipe médicale aurait-elle désobéi aux ordres ? « La double loyauté envers la hiérarchie et le patient peut être difficile à vivre », résume le docteur Hans Wolf, médecin-chef de l’Unité de médecine pénitentiaire de Genève, qui s’exprime en sa qualité de vice-président de la Conférence des médecins pénitentiaires suisses. Selon lui, plus le service médical pénitentiaire est indépendant des services de justice et police, comme c’est le cas pour son service ou le canton de Vaud, mieux c’est. Sans parler du serment d’Hippocrate. « Le médecin veut et doit faire le bien. Il est très difficile d’appliquer le principe d’autonomie si cette autonomie va vers la mort. »

La question est loin d’être tranchée. A l’étranger, la prison américaine de Guantánamo a nourri de force, par sonde, plusieurs détenus à partir de 2005. Les plaintes déposées par des détenus ont été rejetées. « Aucun établissement pénitentiaire dans le monde ne peut laisser ses détenus commettre un suicide », ont justifié les autorités pénitentiaires.

Par lettre, il demande grâce et un bracelet électronique

Toujours incarcéré à la prison des Iles de Sion et toujours en grève de la faim, Bernard Rappaz a écrit une lettre adressée à tous les députés valaisans pour faire suite à la demande de grâce déposée par son avocat. Ecrit à la main il y a quelques jours, le document a été dactylographié par ses proches avant d’être glissé dans les enveloppes. Subsidiairement à sa requête de grâce, il exige une semi-liberté ou le port du bracelet électronique (une pratique en principe impossible en Valais, qui n’est pas un canton test). Rappaz détaille sur dix pages, son long parcours de militant prochanvre et ses déboires devant la justice. Le Valaisan pensait d’abord pouvoir adresser sa demande de grâce au parlement fédéral - d’où l’entête ci-dessus - mais renseignement pris auprès de son avocat, c’est uniquement dans son canton qu’il pourra avoir voix au chapitre. Le Grand Conseil valaisan devrait s’emparer du dossier lors de sa session d’été, soit dès le 15 juin, à moins qu’il ne le repousse au mois de novembre comme l’exigeraient les délais inhérents à cette procédure extraordinaire. Bernard Rappaz a le droit depuis quelques jours de téléphoner durant son heure quotidienne de promenade (l’interview ci-contre a été réalisée hier après-midi dans ces conditions). Les autorités valaisannes refusent toujours de communiquer sur son cas, comme nous l’a encore répété hier Esther Waeber-Kalbermatten.

Stéphanie Germanier

« En Suisse, en 2010, on ne laissera pas un détenu mourir en prison »

- Bernard Rappaz, vous n’avez pas l’air en trop mauvaise forme puisque vous avez encore la force de faire votre promenade journalière.

J’ai des hauts et des bas. Je suis en hypoglycémie depuis deux jours, donc un peu plus lent dans la parole ou l’écriture. J’ai eu un petit malaise ce matin, mais je peux toujours sortir pour ma promenade et j’essaie de bouger en cellule. Je bois deux à trois litres d’eau par jour et fume quelques cigarettes.

- Combien de temps pensez-vous encore tenir ?

J’espère jusqu’à la mi-juin. C’est à cette date que le Grand Conseil devrait discuter de ma demande de grâce (ndlr : voir ci-contre). Et j’ai grand espoir qu’il le fera puisque la commission compétente vient de demander des compléments d’information à mon avocat. Des compléments qu’il est sommé de remettre avant jeudi. C’est bon signe.

- Votre survie est donc suspendue soit au Grand Conseil, soit à Esther Waeber-Kalbermatten...

Oui. D’ailleurs je la remercie de m’avoir sauvé la vie. Elle a non seulement le droit de suspendre à nouveau ma peine, mais elle en a le devoir légal. Si la santé d’un détenu ne peut s’améliorer qu’avec une suspension de peine, elle doit me l’accorder sous peine d’être poursuivie.

- Mais vous la menacez...

Je ne suis pas en conflit avec elle. Si je devais être à nouveau hospitalisé et qu’elle suspendait à nouveau ma peine durant quelques jours, je ne pourrai certainement pas recommencer une grève de la faim de retour en prison. La situation deviendrait infernale pour moi, mais aussi pour elle. Je devrais trouver un autre moyen. Je dois voir avec mon avocat si nous allons demander une révision de mon procès auprès du Tribunal fédéral, qui m’a déjà donné raison dix-sept fois auparavant.

- Vous êtes donc persuadé d’obtenir gain de cause ?

En Suisse, en 2010, on ne laissera jamais un détenu mourir en prison. Un détenu médiatisé comme moi surtout. Il y a quelques jours un ex-prisonnier de Bochuz m’a écrit pour me raconter qu’il avait tenu 42 jours sans manger, mais avait recommencé car personne ne le connaissait et il n’avait donc aucun moyen de pression. Recommencer à me nourrir signifierait que plus personne ne se pencherait sur mon dossier. Ce sera donc la liberté ou la mort.

- Pourtant vous dites ne pas être suicidaire.

Je n’ai pas peur de la mort, mais j’aime la vie.

- Et comment expliquez-vous à votre fille de 12 ?ans qu’elle n’aura peut-être bientôt plus de papa ?

Ma fille avait 3 ans lorsqu’elle m’a pour la première fois rendue visite en prison. Elle connaît mon combat et le comprend. Bien sûr elle m’a demandé de m’alimenter à nouveau, mais elle sait que j’irai jusqu’au bout.

- Les spécialistes parlent de séquelles irréversibles pour des jeûnes aussi longs que les vôtres. Cela en vaut-il vraiment la peine ?
Les spécialistes me font bien rire. Bien sûr, il y a des points de non-retour, mais personne en Europe ne connaît bien le phénomène du jeûne. C’est d’ailleurs pour cela que je suis en train d’écrire un livre sur le sujet. J’ai déjà fait 600 jours sans manger dans ma vie et tout ce que je peux dire c’est que cela a rajeuni mes organes et même mon apparence physique.

Propos recueillis par Stéphanie Germanier

Dick Marty : sa proposition dérange, tant mieux

http://www.lematin.ch/actu/suisse/dick-marty-proposition-derange-mieux-284957

Le conseiller aux Etats tessinois et ancien procureur général. Présente ce week-end un livre de l’ancien superflic Fausto Cattaneo. Il défend l’idée de décriminaliser la distribution de drogue

La proposition est d’une logique implacable. Venant de Dick Marty, il ne pouvait en être différemment tant l’homme est brillant. Pour en finir avec les trafiquants de drogue, il faut « décriminaliser le système de distribution de la drogue », affirme-t-il.

Pas seulement en Suisse

Homme de terrain, le Tessinois précise « pas seulement en Suisse mais partout ». Pour donner de la force à son propos, le sénateur cite un célèbre exemple : la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis. Là-bas, l’interdiction n’a servi qu’à une chose : faire prospérer la criminalité organisée. Ennemi de la langue de bois, le libéral-radical n’allait pas se priver de lancer une idée osée et réaliste. Car, qu’on le veuille ou non, des gens qui se droguent, il y en aura toujours. Et, malgré les sommes astronomiques investies pour lutter contre le trafic, celui-ci se porte très bien. Il est temps que, à l’image de Dick Marty, on laisse tomber l’idéologie dans le domaine de la lutte contre la drogue et qu’on planche sur des solutions pragmatiques. Même si elles peuvent paraître dérangeantes de prime abord.

COMMENTAIRES

- Dick Marty est bien courageux. Au risque de perdre sa crédibilité, il lance un pavé dans la marre en défiant les mafias du monde. Son idée n’est pas nouvelle, mais cette fois-ci, elle est argumentée. Et le personnage est tellement pointilleux que ses détracteurs vont avoir du mal à le déloger. Le contrôle total de la production et de la distribution de drogue doit permettre de diminuer drastiquement les avoirs des trafiquants d’arme et d’humains... et enfin agir pour le bien de nos enfants.

07.06.2010 - 00:15 par grognasse

- Enfin quelqu’un qui ose une approche pragmatique. Les drogues SONT DES POISONS, qu’elles soient illégales ou légales comme l’alcool ou la cigarette, mais la prohibition est un échec au niveau international qui a rendu les trafiquants de drogue tout puissants, coûte des milliards en répression (alors que ça pourrait rapporter des milliards de taxes) et permet de se droguer à des enfants de 11 ans, puisqu’il est impossible de réglementer la distribution comme avec le tabac et l’alcool.

07.06.2010 - 02:08 par RonJeremy

- Il s’agirait d’intégrer la production des drogues et ses transactions dans le cycle de l’économie standard, au même titre qu’une filière de production courante (genre aluminium) Cela permettrait de générer des emplois et d’offrir une sécurité aux salariés, d’encaisser des impôts et de faire cotiser la filière aux assurance (et c’est un milieu qui génère bcp de problèmes), cibler la prévention, contrôler la qualité d’un produit (produit nocif, certes, mais on fait la même chose avec la cigarette)

07.06.2010 - 02:34 par cabron

- Pour une fois, mais c’est bien la première fois, je suis entièrement et à 100% d’accord avec Dick Marty ! Il n’y a rien de plus idiot, de plus nocif et de plus dangereux que cette interdiction de la drogue. Oui, l’exemple de la prohibition de l’alcool est parfaitement valable. Avant la prohibition : 5% d’alcooliques, après la prohibition, 15%. La prohibition fait augmenter la consommation, pousse à des drogues plus dures, expose les consommateurs à des risques énormes dus à la mauvaise qualité.

07.06.2010 - 03:04 par AntiFasciste

- Dick Marty a raison, est motivé il mérite sa place au conseil fédéral.

07.06.2010 - 08:13 par der alt

- DicK Marty, l’homme qui dérange et tant mieux. C’est l’homme idéal à intégrer dans l’enquête indépendante sur le dossier UBS. Lui au moins pourra offrir de la crédibilité. Surveillons ça de prêt.

07.06.2010 - 08:35 par Le chevalier-masqué

Voir en ligne : L’entretien avec Bernard Rappaz

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