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A propos des drogues et autres produits psychoactifs

Par YVES CHARPAK Expert en santé publique

Nicotine, alcool, café, opium, héroïne, amphétamines, cocaïne, champignons hallucinogènes, LSD, poppers, éther, colle, anxiolytiques, psychotropes, antalgiques, Red Bull… Citer en désordre ces produits psychoactifs permet de s’abstraire des dogmes et querelles de clocher sur leurs statuts, et des pseudo-justifications médico-scientifiques des choix de nos sociétés.

Certains produits sont légaux, certains sont disponibles « illicitement » mais pas classés comme drogues, d’autres sont des drogues illicites au niveau international, mais avec des « tolérances » locales diverses ; d’autres enfin sont des produits de santé.

S’il y a une utilisation, c’est qu’il y a des besoins, des envies, des effets recherchés. Clairement, nous avons besoin de produits psychoactifs. Une vie cérébrale naturelle, sans produits modifiant les perceptions et les capacités est rarement réalisée.

Les producteurs, légaux ou pas, s’en frottent les mains, d’autant plus que les querelles sur le statut de ces produits nous interdisent d’en débattre réellement. Mais que voulons-nous donc ? Commençons par voir ce qui existe. Schématiquement, on peut distinguer :

- 1. Des stimulants, pour se réveiller, pour ne pas dormir au travail ou au volant, pour mieux « faire la fête », limiter les effets du vieillissement sur les capacités de concentration, préparer des examens ou finir un travail nécessitant une privation de sommeil.

- 2. Des produits pour se désinhiber, avoir un meilleur contact avec les autres ou simplement les supporter.

- 3. Des produits pour moins souffrir, se désangoisser, dormir confortablement après une journée éprouvante.

- 4. Des produits pour modifier ses perceptions, les intensifier, percevoir ce qu’on ne sait pas faire normalement.

Notre consommation passe par des voies diverses : on avale, on boit, on chique, on inhale, on sniffe, on s’injecte. Ensuite viennent les effets non recherchés : toxicité, effets comportementaux délétères, violence, perte de contrôle, baisse des capacités intellectuelles, dépendance, accoutumance (augmenter les doses pour avoir le même effet), trafic, contrebande, pratiques marketings illégales, corruption, jeux d’influence, clientélisme électoral, blanchiment d’argent, marchés financiers offshore, financement des armes…

Pour évaluer tous ces effets, chaque produit et chaque contexte devraient être classés selon tous ces critères, sans a priori idéologique, scientifiquement. Pourtant, quand les sciences biologiques et médicales sont mises en avant, il s’agit souvent de fragments de résultats, sans recul sur leur interprétation. Il est dommage de voir des scientifiques cautionner cela : les décisions sociétales ne devraient pas impliquer la science lorsqu’elle n’est pas en réalité à l’origine des choix.

La situation est la suivante. Le stimulant le plus utilisé au monde est le café, probablement peu toxique. Vient ensuite la nicotine. Plus forte que le café, plus addictive, surtout qu’elle est noyée dans les milliers de substances qui composent le tabac et qui en font sa toxicité majeure. Mais ne nous y trompons pas, c’est bien la nicotine qui possède l’effet de base recherché. C’est la plus mortelle des drogues.

Il a existé un marché des stimulants sur ordonnance (d’accès assez libre), très prisés en particulier des étudiants avant les examens. Il s’agissait d’amphétamines, vendues en général comme « coupe-faim ». Il n’y a plus d’amphétamines sur ordonnance, mais le marché illicite progresse inexorablement, avec l’ecstasy et d’autres molécules. Des professionnels en Europe utilisent même un autre stimulant « naturel », la cocaïne, pour mieux travailler, pour rester actifs malgré la fatigue, sans parler de ses usages « festifs ».

Mais pour la fête et les liens sociaux, changeons de catégorie. L’alcool est notre désinhibiteur de choix. C’est une drogue dont les effets individuels et sociaux sont complexes. Il y a des buveurs réguliers excessifs, pour lesquels le problème n’est pas la dépendance mais la toxicité. Il y a aussi des « alcooliques », pour lesquels la dépendance est majeure et douloureuse. Bien sûr, il y a les buveurs raisonnables (nous), plus nombreux. Et enfin, sous la pression de forces marketing mondiales incontrôlées, des buveurs occasionnels mais excessifs, qui recherchent l’ivresse comme objet d’interaction sociale.

La dépendance est une drôle de chose : l’héroïne, drogue majeure, était massivement utilisée par les soldats américains au Vietnam, probablement fournie par des organisations proches de leur « employeur », pour les aider à surmonter les souffrances de la guerre. De retour chez eux, la majorité de ceux qui ont trouvé des conditions de vie favorables, que l’on pensait toxicomanes lourds, ont arrêté du jour au lendemain.

Le cannabis révèle pour sa part l’absence de lecture rationnelle des produits psychoactifs : drogue traditionnelle dans certains pays, entraînant rarement une dépendance forte, assez peu toxique médicalement en l’état des connaissances, elle est, malgré son statut illicite, prisée d’une bonne partie de la population, jeune le plus souvent, pour un usage festif et facilitateur de relations sociales. Elle est perçue comme sans danger. Effet paradoxal : son usage conduit souvent à une dépendance tabagique quasi inéluctable.

Les médicaments psychotropes illustrent un autre paradoxe : ils soignent ou soulagent, mais les effets recherchés côtoient les effets des autres produits qui apaisent aussi douleur, angoisse, dépression… Les utilisateurs ne s’y trompent pas : certaines consommations de drogues sont de fait des automédications, plus ou moins efficaces. Il est d’ailleurs difficile de mesurer ce qui est la cause d’une consommation et ce qui en est la conséquence.

En conclusion, le sujet mérite de sortir du cercle vicieux idéologique : nos sociétés s’y perdent. Il faut lire, pour les seules drogues illicites, le rapport annuel de l’Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime, et ses statistiques annuelles. Presque tous les indicateurs sont au rouge, signalant une augmentation d’usage non contrôlée par les politiques internationales et nationales. Nous pouvons faire mieux, mais il faut commencer à y réfléchir sérieusement.

Voir en ligne : Pour lire l’article original sur le site Liberation.fr

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