Un mois après les élections aux Etats Unis, le journal Libération a publié aujourd’hui un dossier dont la Une "YES WE CANNABIS" annonçait la couleur.
http://www.liberation.fr/societe/2012/12/05/en-france-des-interdits-artificiels_865431
En France, des interdits artificiels
ANALYSE Depuis des années, les hommes politiques privilégient les préjugés aux données objectives.
Par MICHEL HENRY
Et en France, alors ? Business as usual : on ne voit rien, on n’entend rien, on ne dit rien. Les trois singes. La France des élus, à part quelques exceptions individuelles et les Verts, ne veut pas ouvrir le débat sur les drogues illégales. Trop dangereux : cela obligerait à regarder la réalité en face. Celle d’une prohibition inefficace et coûteuse, qui n’empêche pas de hauts niveaux de consommation - les 15-24 ans sont les champions d’Europe du pétard (1).
Aux Pays-Bas, contrée beaucoup plus tolérante avec les consommateurs, il y a, en proportion de la population, moitié moins de fumeurs. La plupart des études le montrent : interdit et niveaux de consommation ne sont pas liés. Mais les élus français refusent de le voir, préférant leurs préjugés et leurs fantasmes. Et celui qui lève ce tabou se fait immédiatement aboyer dessus. Ainsi, quand un ministre - Vincent Peillon - émet une évidence, à savoir que la pénalisation de l’usage ne fonctionne pas, droite et gauche lui tombent dessus. Belle union nationale. Alors qu’il a raison...
La France ne croit qu’à la répression, elle a tort. Elle ne croit pas à la prévention, n’y met pas les moyens (lire l’interview de William Lowenstein ci-contre) : elle a tort aussi. Comment expliquer que cet aveuglement perdure ?
« Loups ».
En 1978, les socialistes s’étaient engagés à dépénaliser l’usage. En 1981, la promesse était oubliée. Selon la sociologue Anne Coppel, François Mitterrand aurait dit : « Surtout, n’en parlons pas. Parce que, si on en parle, il faut hurler avec les loups. » Postulat général : les drogues font peur. Il faut donc « rassurer avec un discours guerrier, sans pour autant mener une véritable politique, ni en santé publique ni en sécurité », détaille Coppel.
En 2002, Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé, expliquait qu’à son grand regret, « l’opinion [n’était] pas prête » pour une dépénalisation. C’est sûr : si on ne donne pas les faits objectifs, l’opinion ne risque pas d’évoluer. Le principal problème, c’est un déficit d’information. Parfois, le débat renaît. En juin 2006, le Parti socialiste inclut dans son programme l’idée d’une « régulation » du cannabis par l’Etat. La proposition reste cependant lettre morte. Car la gauche a peur de passer pour irresponsable et laxiste. Mais si on ne poursuit plus en justice les usagers de cannabis, la consommation va-t-elle s’accroître ? Rien n’est moins sûr. Le Portugal l’a fait en 2001, sans enregistrer d’augmentation.
Dépénaliser, est-ce envoyer un « mauvais signal en direction des jeunes », comme Lionel Jospin le craignait en 2002 ? François Hollande pense lui aussi qu’il faut maintenir un interdit. Pourtant, en faisant de la prévention crédible et non moralisante, les jeunes seront plus efficacement touchés qu’avec cet interdit peu respecté.
A défaut, la gauche se colle quasi unanimement sur la posture de la droite : sur cette question, il faut rouler des mécaniques. Mais la droite, si elle avait un peu de jugeote, se souviendrait qu’elle a mis en place les deux seules avancées connues en matière de réduction des risques pour les drogues injectables : la vente libre de seringues en 1987 et l’autorisation des produits de substitution à l’héroïne en 1994.
Clubs. A l’époque, les loups hurlaient : « L’Etat aide les drogués ! » Heureusement, ils n’ont pas été écoutés. La droite ressort cet argument aujourd’hui contre les salles de consommation à moindre risque, dont l’expérimentation doit débuter l’an prochain. Le but de celles-ci n’est pas d’inciter à la consommation de drogues injectables, comme le prétend l’UMP (sauf Roselyne Bachelot, qui connaît le sujet), mais d’en réduire les risques. Là encore, la France est en retard. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a promis qu’elle donnerait son feu qu’on espère vert au premier semestre 2013. « Il ne faut plus perdre de temps », prévenait hier Jean-Marie Le Guen, adjoint PS à la santé à la mairie de Paris.
Lundi, celui-ci proposera au conseil municipal de débloquer 38 000 euros afin d’aider l’association Gaïa à « préfigurer » l’installation d’une salle dans la capitale, plus une structure mobile. Des salles semblables pourraient ouvrir à Marseille et Bordeaux. Ailleurs, des consommateurs se réunissent en « cannabis social clubs » pour faire pousser eux-mêmes de l’herbe et ne plus avoir à s’approvisionner sur le marché noir. C’est une expérience, illégale, calquée sur le modèle de l’Espagne, où elle est tolérée. C’est surtout l’application du small is beautiful : faute de débat global, seule une politique des petits pas à l’échelon local fait avancer le Schmilblick.
(1) En 2011, 39 % des 15-16 ans déclaraient en avoir consommé au moins une fois. Et l’usage dit récent (dans le dernier mois) est passé de 15 à 24 %, ce qui fait des jeunes Français les premiers en Europe (ils n’étaient que troisièmes en 2007).
http://www.liberation.fr/societe/2012/12/05/le-cannabis-therapeutique-aux-etats-unis_865438
SOCIÉTÉ
Repères. Cannabis. Le cannabis thérapeutique aux Etats-Unis
Le cannabis thérapeutique est légal dans 18 Etats américains. Le premier à l’avoir autorisé est la Californie, en 1996, bientôt suivis par l’Etat de Washington, l’Oregon et l’Alaska en 1998. Une dizaine d’autres sont actuellement en train de préparer des référendums pour imposer la dépénalisation de l’usage thérapeutique. Pour l’instant, l’Etat fédéral ne s’y est pas opposé, si ce n’est pour organiser des raids contre les dispensaires qui ne respectaient pas les lois établies par les autorités locales.
1 milliard de dollars (764 millions d’euros), c’est le revenu annuel que la légalisation pourrait générer dans l’Etat de Washington, selon les autorités locales, grâce à une taxe de 25 % sur la vente.
« Nous en avons marre de nous cacher et de vivre avec la peur de nous faire contrôler. »
Farid Ghehiouèche, partisan des « cannabis social clubs » français sorte de coopératives de production.
La légalisation
Elle consiste à autoriser la vente de cannabis. C’est ce qui pourrait arriver en 2014 dans le Colorado et l’Etat de Washington. Le marché serait « régulé » selon des règles strictes : pas de vente aux mineurs, une quantité maximale par client, des points de vente autorisés par un système de licence.
La dépénalisation
Elle consiste à ne plus poursuivre en justice les usagers. Au sein de l’Union européenne, l’usage de cannabis est une infraction pénale dans 5 pays (dont la France) et une infraction administrative dans 7. Dans les 15 autres pays, l’usage n’est pas poursuivi, mais la détention peut être sanctionnée.
http://www.liberation.fr/societe/2012/12/05/les-ameriques-levent-un-tabou_865442
ANALYSE L’Uruguay envisage aussi la légalisation. Le Mexique et la Colombie, eux, contestent la guerre à la drogue.
Par MICHEL HENRY
En 1931, un médecin américain, le Dr Fossier, écrivait : « La race dominante et les pays les plus éclairés sont alcooliques, alors que les races et les nations dépendantes du chanvre et de l’opium se sont détériorées mentalement et physiquement, bien qu’elles aient auparavant atteint des sommets en termes de civilisation et de culture. » Que penserait-il aujourd’hui de son pays ? Détenir 28 grammes de cannabis devient légal dans l’Etat de Washington si on a plus de 21 ans (lire ci-contre) et il en sera bientôt de même dans le Colorado. Plus fort : les électeurs de ces deux Etats ont aussi voté la future légalisation du commerce de cannabis. Début 2014, des boutiques vendant de l’herbe et payant des taxes comme tout commerce pourraient y voir le jour. Aucun pays au monde ne l’a fait, même pas les Pays-Bas : si la vente y est légale, la production y reste illégale.
Ainsi, le gendarme antidrogues de la planète se porterait à l’avant-garde de la légalisation ? On hallucine. Les Etats-Unis ont inventé la prohibition du cannabis il y a un siècle et mènent depuis quarante ans une « guerre à la drogue » dans laquelle ils ont déjà englouti - en pure perte - plus de 1 000 milliards de dollars. Voilà qu’ils tournent casaque ? Il n’est pas écrit que le pouvoir américain l’acceptera. Barack Obama a toute l’année 2013 pour trouver une parade contre cette révolution qui contrevient à la loi fédérale et aux conventions internationales. Mais pour un pays ultrarépressif qui envoie chaque année des centaines de milliers de personnes derrière les barreaux pour des affaires de stupéfiants, il y a déjà là un coup de tonnerre. Le ver est dans le fruit. Les électeurs des deux Etats se seraient-ils collectivement mis aux pétards ? Non. Leur vote reflète plutôt une vision pragmatique : les centaines de millions dépensés pour la répression dans le pays ne sont pas efficaces. Et, au niveau international, la « guerre à la drogue » fait plus de dégâts que la drogue elle-même.
Effronterie.
Ce dernier constat remue aussi l’Amérique latine. L’Uruguay discute d’un projet présenté par son président pour organiser un marché légal du cannabis. Marre du marché noir et des règlements de compte. Et depuis plusieurs mois, Mexique, Colombie ou Guatemala remettent ouvertement en cause la « guerre à la drogue » qu’ils subissent sur leur sol, une effronterie qu’ils n’auraient jamais osée auparavant. « Il faut revoir la stratégie internationale sur les drogues. Cela ne peut plus attendre », ont exigé le 12 novembre le Mexique, le Costa Rica, Honduras, Belize et le Guatemala. Au Mexique, où la guerre contre les narcos a fait 60 000 morts en six ans, le gouverneur de l’Etat du Chihuahua a proposé de légaliser l’exportation de marijuana : comme elle est légale dans deux Etats américains, il y a un marché à prendre.
Un tabou est brisé, l’autorité des Etats-Unis est défiée. Mais existe-t-elle encore ? « Il n’y a plus d’instance internationale qui a les moyens de faire appliquer les conventions internationales », relève la sociologue Anne Coppel (1). Jusqu’ici, tout pays qui sortait de la ligne dure fixée par les Etats-Unis pouvait numéroter ses abattis. Cela semble fini. « Si l’Uruguay ou le Maroc décident de légaliser, qui pourra les en empêcher ? » demande Coppel. Personne. « Les Etats-Unis donnaient le ton. S’ils ne le font plus, tout devient possible. »
Abstinence. La période qui s’ouvre est à l’incertitude. La prohibition reste la règle, mais il n’est plus interdit de développer des stratégies régionales, voire locales : chaque pays, chaque région peut traiter la question à son goût - ou essayer. On ne s’en est pas aperçu en France (lire page 5), mais l’espoir d’un changement de paradigme est bien réel, un siècle après l’introduction de la prohibition des drogues, via la Convention internationale de l’opium, signée en 1912 à La Haye.
A l’époque, le puritanisme américain était à la manoeuvre, couplé à l’inatteignable objectif de l’abstinence universelle. Pendant des siècles, les êtres humains avaient consommé des drogues sans que les autorités s’en mêlent. Mais début XXe, les Etats-Unis les ont identifiées comme « anti-américaines », car importées ou consommées par des minorités : Chinois, Noirs, Mexicains... Quand El Paso, au Texas, a interdit la marijuana en 1914, « la raison sous-jacente n’est pas de prohiber le cannabis, mais de se débarrasser des Mexicains », soutient l’historien Martin Booth.
En 1938, un médecin témoignait à un procès dans le New Jersey : « Après deux bouffées de marijuana, je me suis transformé en chauve-souris. » Désolé docteur, mais la chauve-souris a pris le pouvoir dans deux Etats.
(1) Auteure de « Drogues : sortir de l’impasse », avec Olivier Doubre aux éditions La Découverte.
http://www.liberation.fr/societe/2012/12/05/hypocrite_865441
SOCIÉTÉ
Hypocrite
Par NICOLAS DEMORAND
J’ai grandi aux Etats-Unis pendant les années 70. Mes premiers souvenirs sentent puissamment l’herbe que fumaient ma s¦ur ainée et ses potes, censés nous baby-sitter, mon frère et moi. Mon adolescence, c’est au Maroc que je l’ai passée ; une belle époque où, à peine entré en 3e, un ami me mettait un joint entre les mains. Mes parents ne se doutaient de rien même si, parfois, ils s’étonnaient que leurs enfants aient les yeux si jaunes et plissés. De cette enfance fumeuse et fumiste, la conséquence la plus dramatique fut que je devins journaliste. A Libération qui plus est ; dans ce quotidien qui, en 1976, lançait « l’appel du 18 joint » pour la dépénalisation du cannabis.
Relire ce texte trente-six ans après, l’impressionnante liste des signataires, c’est prendre la mesure d’un retard typiquement français, car purement idéologique. Alors qu’ici et là aux Etats-Unis, en Amérique latine et en Europe, de nombreux pays légalisent ou dépénalisent les drogues douces, nous restons arc-boutés sur un dogmatisme prohibitionniste d’autant plus stupéfiant qu’il est partagé avec gravité par la gauche et la droite. Tout se passe sous le manteau, en cachette, de manière hypocrite, laissant au passage les parents seuls et inquiets face à leurs enfants envappés. Faire de la prévention ? Inutile, car ces drogues sont interdites. Contrôler la qualité et, donc, la toxicité de ce qui circule sur le marché ? Et pourquoi pas un Etat producteur de cannabis ! Regarder ailleurs dans le monde quelles politiques pragmatiques marchent, lesquelles échouent ? Jamais : la France préfère se défoncer seule à la moraline.
http://www.liberation.fr/monde/2012/12/05/seattle-un-petit-joint-de-paradis_865432
MONDE
Seattle, un petit joint de paradis
ANALYSE La consommation d’herbe est légale dans l’Etat de Washington à partir d’aujourd’hui. Une première, votée par référendum, que même la police salue.
Par FABRICE ROUSSELOT Envoyé spécial à Seattle
La boutique n’est pas encore ouverte, mais ce n’est pas très grave. « Quand on vient à Holy Smoke [la fumée sacrée, ndlr], c’est généralement pour une seule chose et on est sûr de la trouver, s’esclaffe Eric, un étudiant en sociologie qui attend devant la porte avec ses trois copains. Ils ont la meilleure sélection de pipes à eau et de bangs de toute la ville. Et là, on ne va pas se priver. On fait une grande fête chez nous le 6 décembre. Vous vous rendez compte, c’est énorme ! On va enfin pouvoir fumer de l’herbe sans que les flics nous emmerdent. C’est la révolution qui commence. » Un peu plus loin, en sortant d’une boutique de tatouage, au c¦ur de Capitol Hill, l’un des quartiers les plus branchés de Seattle, Anna, une institutrice, dit que « les gens se souviendront de ce jour, comme celui où ils auront acquis une nouvelle liberté ». « C’est un nouveau chemin que nous traçons ici, assure-t-elle, philosophe, celui qui va vers un usage responsable du cannabis sans l’agression continuelle du gouvernement. »
A Seattle, le 6 décembre n’a pas encore été officiellement déclaré journée historique, mais c’est déjà tout comme. Aujourd’hui, l’Etat de Washington, dont la ville côtière est l’un des joyaux, devient le premier Etat a légaliser le cannabis, quelques semaines avant le Colorado. Selon la désormais fameuse Initiative 502 (I-502), votée à 56% le jour de la réélection d’Obama, il n’est plus criminel de posséder jusqu’à 28,5 grammes (une once) de marijuana et de la fumer en privé. « Honnêtement, on avait le sentiment que la victoire était possible, mais il a quand même fallu se pincer pour réaliser », commente Kevin Oliver, le directeur exécutif du bureau local de Norml, l’organisation nationale pour la réforme des lois sur la marijuana. « Nous espérons surtout que c’est le début de la fin de la prohibition ».
Coalition. Le résultat des référendums sur la marijuana en a surpris plus d’un. Notamment le gouvernement fédéral, pour qui la consommation de cannabis reste illégale et qui, pour l’instant, a simplement dit « étudier les décisions prises lors de ces votes populaires ». Certes, l’Etat de Washington est considéré depuis longtemps en Amérique comme un lieu progressiste, où s’est enracinée une culture alternative. Mais la campagne pour la légalisation, baptisée « Une nouvelle approche pour la marijuana », a adopté une stratégie bien plus globale, basée sur le compromis, afin de rassembler une large coalition de décideurs locaux, d’entrepreneurs et même d’anciens hommes de loi. « Nous avons décidé d’être pragmatiques », explique Doug Honig, l’un des directeurs de l’Aclu, le syndicat de défense des droits civiques, qui a participé à la rédaction du texte. « Nous avons mené cette campagne comme on l’aurait fait pour une réforme du système criminel, en dénonçant une politique de lutte contre la drogue qui est un échec total. Ensuite, nous avons pris en considération les inquiétudes et les craintes de l’opinion publique face au cannabis, afin de les intégrer dans l’initiative. »
Selon Mark Cooke, aussi à l’ACLU, le référendum s’est calqué sur les législations existantes concernant l’alcool. Il faut ainsi avoir 21 ans pour pouvoir posséder du cannabis, il reste interdit d’en fumer dans les lieux publics et, surtout, un seul test suffi pour se faire condamner si l’on est arrêté au volant avec plus de 5 nanogrammes de THC (1) dans le sang. « On s’est rendu compte que sans ces conditions-là, les gens n’auraient peut-être pas été en faveur de la légalisation, précise Doug Honig. Cela nous a permis d’avoir un soutien bien plus large. »
Dans son costume impeccable, John McKay n’a pas vraiment le profil de l’activiste forcené. En 2001, il a même été nommé procureur fédéral pour l’ouest de l’Etat de Washington par George W. Bush, avec pour principale mission... de lutter contre le trafic de drogue et, plus spécifiquement, de cannabis. C’est pourtant son visage que l’on retrouve sur les prospectus en faveur de l’I-502. « Je vous le dis tout de suite, je ne fume pas de joints et ce n’est pas vraiment mon truc, prévient-il en guise de préambule. Mais quand j’ai quitté mon poste en 2007, je savais déjà que nous perdions la bataille contre la drogue. Ensuite, j’ai fait de longues recherches et je n’ai plus aucun doute : le meilleur moyen de lutter contre les cartels et le marché noir, c’est de dépénaliser et de mettre en place un marché légal du cannabis. Il faut changer notre façon de penser, notre attitude et notre politique. »
« Marijwhatnow ? » Dans l’Etat de Washington, le passage du référendum a déjà entraîné plusieurs changements et pas des moindres. Depuis quelques jours, des procureurs locaux ont annoncé qu’ils allaient abandonner les actions en justice concernant les inculpations pour détention de marijuana. Le département de police de Seattle (SPD) est allé jusqu’à mettre en ligne un guide pour les usagers. Intitulé « Marijwhatnow ? » (marijuana et quoi maintenant ?), le document est devenu une sensation sur Internet et précise que l’I-502 a permis de clarifier un peu les choses pour les forces de l’ordre.
S’il ne va pas ouvertement jusqu’à prendre position pour la légalisation, le « tsar de la drogue » du SPD et le numéro 2 de la police, Jim Pugel, souligne que depuis un précédent référendum en 2003, les arrestations pour possession étaient une « très faible priorité à Seattle ». « Avant, on était très ambigus sur ce que l’on pouvait faire ou pas. Au moins, maintenant, les officiers de police peuvent se concentrer sur des infractions plus importantes, ajoute-t-il. On verra bien ce que fera le gouvernement, mais il me semble que l’on pourrait essayer de voir si ce modèle fonctionne - à condition d’être bien encadré. Ce n’est pas forcément une révolution, mais ce serait une évolution. »
L’espoir, ici, est donc que l’administration Obama n’entame pas une bataille juridique afin de faire valoir le droit fédéral. Et que le gouvernement choisisse, au contraire, de transformer l’Etat de Washington et le Colorado en « laboratoires ». Selon l’I-502, les autorités de l’Etat ont un an pour tenter d’organiser la culture et la vente légales de marijuana à travers des établissements sous licence, dûment taxés à hauteur de 25%. En attendant, la police n’a pas l’intention de demander aux fumeurs où ils ont trouvé leur herbe. « Là encore, l’argument économique a été déterminant. Les Américains sont indignés de voir autant d’argent jeté par les fenêtres pour envoyer dans des prisons surpeuplées des gens qui n’ont commis aucune violence, ajoute Doug Honig, de l’ACLU. Le fait que l’on propose d’investir ce nouveau revenu dans la prévention et l’éducation est aussi un élément qui a su rallier les citoyens. »
Paradoxalement, certains représentants du lobby en faveur de la marijuana à usage thérapeutique, légale à Seattle depuis 1998, ont ainsi pris position contre le texte, jugé trop restrictif. « Tout le monde parle de légalisation, mais en réalité on fait un pas en arrière, notamment pour les gens qui prennent de la marijuana parce qu’ils sont malades et qui se feront arrêter dans leurs voitures », assure Steve Sarich, qui tient un dispensaire dans le sud de la ville et annonce, ce jour-là, une action en justice locale contre l’initiative 502. « Je ne crois pas que nous allons aller bien loin avec cette mesure », poursuit-il.
Interdit au travail. Ces dernières semaines, de nombreuses entreprises ont également fait part de leur « désarroi », en stipulant à leurs employés qu’il était interdit de consommer du cannabis sur leur lieu de travail. Même chose du côté de l’université de Seattle, qui a rappelé à l’ordre ses étudiants. Et sur le campus, la confusion est joyeusement entretenue. « Ok, très bien, rigole James, un étudiant en économie, on n’a pas le droit de fumer sur le campus... mais si on arrive en classe après avoir tiré sur un joint chez soi, quel est le problème ? »
Dans son bureau où les posters de feuilles de cannabis font office de tapisserie, Vivien McPeak, le directeur du festival Hempfest, qui célèbre la marijuana tous les mois d’août à Seattle, veut croire à un « tournant ». « Nous sommes à un moment très favorable. Si l’on regarde ce qui s’est passé avec le cannabis thérapeutique, le gouvernement n’est intervenu qu’a posteriori, en lançant des raids contre des établissements qui enfreignaient la loi. Pourquoi ne pourrait-il pas adopter la même attitude aujourd’hui ? D’autant qu’il y a vraiment un changement générationnel, avec une opinion publique qui est de plus en plus favorable à la dépénalisation (2) et un président qui aborde un second mandat sans grand-chose à perdre. Si les choses se déroulent bien, on peut même imaginer que, dans quelques années, le Congrès laisse la prérogative aux Etats en terme de politique sur le cannabis. Mais bon, on n’en est pas encore là... »
Au Starbucks de Capitol Hill, non loin de la boutique Holy Smoke, un couple, la soixantaine élégante, lit tranquillement les journaux. Dana, une analyste financière, donne son avis : « Nous ne touchons pas au cannabis, mais nous n’avons rien contre non plus. C’est déjà très facile d’en avoir par ici, alors pourquoi ne pas le légaliser et en tirer profit ? »
(1) Le tétrahydrocannabinol, le produit actif du cannabis.
(2) Selon un sondage de la Quinnipiac University publié hier, 51 % des Américains sont favorables à la légalisation (44 % sont contre). Ils n’étaient que 12 % en 1969.
Voir en ligne : Pour lire les articles du dossier de Libération : Yes, we cannabis