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Pérou : Un nouveau "Tsar" antidrogue

Un "tsar" antidrogue

Bien que le Pérou dispute à la Colombie la place de premier fournisseur mondial de cocaïne (330 tonnes par an), la politique péruvienne antidrogue est rarement discutée dans le pays. Durant la campagne présidentielle du début d’année, le thème a été effleuré. Depuis le mois d’août, le sujet est à la "une" des principaux médias nationaux. La raison : la nomination par le nouveau président, Ollanta Humala, de l’expert Ricardo Soberon à la tête de la Commission nationale pour le développement et une vie sans drogues (Devida), chargée de la lutte contre le narcotrafic.

"Qu’est-ce que je représente en termes de politique publique en matière de drogue ? Définitivement, un autre regard", sourit M. Soberon. Avocat de formation, il a toujours été très critique à l’égard de la lutte anti-narcotrafic menée dans le pays au cours des dernières décennies, dépendante des Etats-Unis. "Je comprends que ma nomination ne leur plaise pas, mais c’est une décision souveraine du "gouvernement de la grande transformation", qui veut mettre en place une nouvelle politique antidrogue au Pérou", félicite le chef de la Devida.

M. Soberon fait partie des analystes péruviens spécialisés dans les thèmes liés à la coca, la feuille sacrée des Incas que beaucoup de Péruviens "chacchent" (mastiquent) toujours aujourd’hui et dont 90 % de la culture sont destinés au narcotrafic. Mais ses positions tranchées ne font pas toujours l’unanimité. Il juge inefficace le programme d’éradication forcée que financent les Etats-Unis depuis 1980 et qui consiste à détruire ou à arracher les plants de coca semés illégalement au Pérou. Depuis 2003, de 10 000 à 12 000 hectares de plantation sont éradiqués tous les ans. "Les surfaces consacrées à la coca ont continué d’augmenter", condamne le nouveau "tsar antidrogue". Selon les Nations unies, le Pérou comptait 61 200 ha de culture de coca en 2010 contre 59 900 en 2009 et 44 200 en 2003. "L’éradication forcée n’a jamais eu d’effets sur la production totale", assure M. Soberon, qui maintient que, au contraire, elle "fragmente" la production. "Tu éradiques d’un côté, la coca est replantée de l’autre", poursuit l’expert, faisant allusion aux cultures apparues dans la jungle.

Fin juillet, la seule annonce de la nomination de M. Soberon ("un acte subversif en soi", rit le spécialiste) a suffi à raviver le débat autour de la politique péruvienne antidrogue, mais la controverse a vraiment commencé mi-août, quand la presse a révélé la suspension des travaux d’éradication dans l’Alto Huallaga, une région très productrice de feuilles de coca. Inédite, cette mesure a poussé l’ambassade des Etats-Unis au Pérou à "demander des explications" au nouveau gouvernement. "Nous avons voulu faire une pause de manière à réorienter les efforts", s’est alors empressé de justifier le ministre de l’intérieur, assurant qu’il n’avait jamais été question d’"abandonner" l’éradication. Décision gouvernementale ou conséquence de la pression diplomatique nord-américaine ? La "pause" n’a finalement duré qu’une semaine, et le programme a repris.

"L’éradication continuera", a, depuis, déclaré Ricardo Soberon, reconnaissant que le programme défendu par les Etats-Unis, principal financier de la lutte antidrogue (52 millions de dollars), fait toujours partie de la stratégie de l’Etat péruvien. "Ce gouvernement a comme politique de réduire les aires soumises à la culture de la coca, mais il le fera de manière à ce que ces réductions soient durables dans le temps et sur le territoire, ce qui n’était pas le cas jusque-là", précise M. Soberon, qui entend travailler avec les 60 000 producteurs de coca du pays.
Le chef de Devida veut ainsi en finir avec le "discours de guerre" que l’Etat a jusque-là adopté envers des paysans qui, selon lui, ne sont que des victimes du narcotrafic. "Ricardo Soberon pense que les cocaleros forment un mouvement social, alors qu’aujourd’hui une grande partie d’entre eux sont directement impliqués dans l’élaboration de la cocaïne", objecte un autre expert, Jaime Antesana.

Les deux hommes sont toutefois d’accord sur l’urgence à changer de stratégie antidrogue et soutiennent le renforcement de la présence de l’Etat dans les zones isolées et les programmes permettant aux producteurs de remplacer la culture de la coca par celle du café, du cacao ou du palmier. "Notre gouvernement cherchera à ce que la politique antidrogue procède à l’éradication des cultures illégales de coca tout en incluant les producteurs dans des programmes de développement alternatif", a résumé le président Humala, le 22 septembre, devant l’Assemblée des Nations unies. Il a insisté sur l’importance de la lutte antidrogue pour mieux combattre les organisations criminelles, qui bénéficient de ce marché illicite. Un marché juteux, qui rapporterait de 2,5 à 3 milliards de dollars à l’économie péruvienne.

chrys_barbier(@)yahoo.com

Chrystelle Barbier

Article paru dans l’édition du 29.09.11
| 28.09.11 | 15h01 * Mis à jour le 28.09.11 | 15h02

© Le Monde.fr

Raphaël C.
18h15

Quel"autre regard" ?C’est la même logique,avec une couche d’hypocrisie en plus !Comment miser encore sur ce serpent de mer que sont les"programmes de développement alternatif",inéluctablement voués à l’échec face au"marché juteux"de la cocaïne,ultraconcurrentiel puisque prohibé ?Les prohibitionnistes purs&durs,qui échouent tout autant,ont moins de pudeurs hypocrites."Discuter"la politique antidrogue ne rime à rien si on ne voit pas que l’échec lui est conssubstantiel,et qu’il faut donc la RÉFORMER.

Voir en ligne : Lire l’article original sur le site Lemonde.fr

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