Nous sommes le pays européen où la population de jeunes qui fument du cannabis est la plus élevée. Quelle est la pertinence de notre politique policière et pénale vis-à-vis de la drogue ? Faut-il légaliser le cannabis pour tuer le trafic ?
C’est un sujet tabou, dérangeant, choquant même. Ce qui s’est passé à La Castellane, un quartier au nord de Marseille, ce début de semaine, conduit pourtant à se poser la question : quelle est la pertinence de notre politique policière et pénale vis-à-vis de la drogue ? Ce qui s’est passé est banal et hallucinant : le patron de la police, sur qui l’on tire à la kalachnikov parce qu’il s’est rendu dans ce quartier tenu par des trafiquants, lesquels, dotés d’armes de guerre, terrorisent les habitants et font tranquillement leur bizness. La seule tour K du quartier, paraît-il, a un chiffre d’affaires de quarante mille euros par jour, tandis que le marché marseillais du cannabis pèserait quelque cent vingt millions d’euros, net d’impôts. Et Marseille n’a pas l’exclusivité. Tout est connu depuis longtemps de ce déprimant état des lieux, mais rien ne vient à bout du trafic.
Un séjour en prison vaut légion d’honneur
Notre arsenal juridique est des plus sévères. Et pourtant, nous sommes le pays européen où la population de jeunes qui fument du cannabis est la plus élevée. Cherchez l’erreur. Une gigantesque économie noire s’est développée, qui enrichit les caïds, gangrène des centaines de quartiers en en faisant des zones de non-droit ou plutôt d’un droit mafieux avec ses guetteurs, ses laissez-passer, ses règles basées sur la peur. Cette terreur quotidienne s’accompagne de la plus mauvaise des pédagogies quand l’exemple de la réussite est donné par des délinquants à la richesse ostentatoire qui n’ont que mépris pour qui voudrait gagner sa vie autrement, c’est-à-dire mal. Et pourtant encore, les moyens policiers consacrés à ce trafic sont aussi considérables qu’impuissants : quand il existe une demande, il existe toujours des marchands pour la satisfaire qu’aucune répression ne dissuade. Les délinquants de la drogue, enfin, fournissent l’un des plus forts contingents de la population pénitentiaire. Pour beaucoup, un séjour en prison vaut légion d’honneur. Ils consolident là leurs réseaux quand ils ne se radicalisent pas. A moins qu’ils poursuivent leurs affaires en direct de leurs cellules. Les portables y sont interdits, on en a trouvé pourtant 28 000 l’an passé, trois fois plus qu’en 2010. Encore une interdiction ridiculisée.
Abandonner un terrain faute de parvenir à l’occuper
Au total, une politique ruineuse qui n’a rien à mettre à son actif : aucune efficacité, seulement des effets pervers. Et s’il fallait oser autre chose : non pas seulement dépénaliser l’usage de la drogue, mais la légaliser ? Prévoir, une régie du cannabis comme il y eut une régie des tabacs ? Les joints seraient garantis non-frelatés, le trafic des quartiers asséché, la vie de leurs habitants changée, l’économie souterraine mise à mal, les prisons soulagées. Les économies réalisées permettraient de mener une vraie politique de prévention, car le but reste de dissuader les jeunes à cette fumette, et de concentrer les efforts policiers sur les grands trafiquants de drogues dures.
Une révolution. Marcherait-elle ? Personne ne peut en jurer, ni mesurer l’impact d’un tel changement. Mais ce qui est avéré est que la politique actuelle ne marche en rien. Elle est encore défendue à grands coups de mentors républicains et au nom de grands principes, sans hélas que les premiers soient efficaces et les seconds respectés. Il y a quelque chose de déplaisant à abandonner un terrain faute de parvenir à l’occuper, à légaliser demain ce que l’on interdit aujourd’hui au nom de la santé. Mais il est des révisions qui ne sont pas des reculades : seulement un pragmatisme qui ne nuirait qu’aux trafiquants qui, pour l’heure, pourrissent nos quartiers et empoisonnent nos jeunes.
COMMENTAIRES CHOISIS
Par Raph :
Vraiment, à lire les réactions, les dealers doivent doivent se réjouir de voir tant de monde se préoccuper de leur reconversion et leurs points retraite !
Qu’importe l’inefficacité totale de la prohibition, qu’importe le discrédit de la loi, de la justice et de la police qui tentent de vider la mer avec une petite cuillère, qu’importe cette loi qui infantilise les majeurs en les prenant pour des mineurs et donc est méprisée aussi bien par les uns que par les autres, qu’importent les milliers d’usagers incarcérés tous les ans, les centaines de milliers d’interpellations par une police débordée qui aurait bien d’autres chats à fouetter, qu’importe l’encombrement significatif de la justice avec des affaires de cannabis (40 % du contentieux juridique est lié au cannabis en France), (...)
L’auteur a d’autant plus raison de vouloir prévoir une régie du cannabis comme il y eut une régie des tabacs… et même, plus précisément, une régie marocaine du kif et du tabac, à l’époque où le Maroc était sous protectorat français ! il est donc tout à fait souhaitable et possible (et cohérent, et rationnel) de fermer enfin cette parenthèse idiote, irrationnelle, contre-productive, inefficace, injuste, inique qu’est la prohibition du cannabis pour revenir à un commerce réglementé. Signalons au passage que justement, au Maroc aussi de nombreuses voix s’élèvent pour légaliser le cannabis. Assez de répression, de gaspillage de fonds publics, RÉGLEMENTONS ! CONTRÔLONS ! PRÉVENONS !
@leMiquelet
Eh bien, ils seront intégrés dans les filières de distribution légales, pas si inintéressant que cela du point de vue financier puisque dans un commerce régulé les revenus sont réguliers et garantis. Rappelons aussi que 80% des trafiquants actuels gagnent à peine le SMIC, et le même pourcentage d’entre eux a déjà un emploi. On peut très bien "amnistier" les dealers qui n’ont pas de sang sur les mains.
@labélugue
Cherchez le sophisme, vous voulez dire ! Un marché noir, c’est 100% de trafic ; un marché régulé réduit massivement le trafic (30-40% de trafic de tabac). Vous préférez quand même la première “solution” ? Vous êtes sans doute un dealer, alors, qui sont tous des opposants acharnés à la légalisation !
@leMiquelet
Toujours ce même argument de la part des partisans de l’inaction ! Le commerce régulé du cannabis n’éradiquerait pas le trafic à 100%, donc ne faisons rien et persistons dans la prohibition qui génère le trafic et ne parvient jamais à "l’éradiquer" au-delà de 20% (pourcentage maximum des saisies) !
Cherchez la cohérence...
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