« Il n’y a pas d’écologie sans critique du
travail et sans éloge de la paresse. »
Philippe Godard - Les voies de la paresse - 1er avril 2006
L’or des fous Editeur - Nyons - 2006
Voilà bien une réflexion que j’aurais voulu faire moi-même tellement elle à la fois vraie et concise. Une idée que j’exprime depuis des années sans avoir su la résumer dans une phrase aussi simple et aussi juste. Une phrase limpide qui se révèle essentielle à la réflexion de tous. Comment parler d’écologie sans remettre en cause la valeur travail, une des plaies de l’Humanité et de nos sociétés modernes ? Comment justifier ce travail de fourmis, de plus en plus mécanisé, qui ronge la surface de la terre comme un raz-de-marée qui submerge tout sur son passage ?
Le travail de masse détruit notre environnement à une vitesse exponentielle. Et c’est bien parce que l’on a forcé l’homme à travailler pour gagner sa vie depuis un peu plus de deux siècles, qu’il se convainc depuis lors qu’il n’y a pas de salut sans le travail. Cette idée aussi néfaste que pas naturelle s’est ancrée dans les mentalités, au point d’avoir inculqué que le travail était un devoir pour se réaliser. Et que si l’homme ne travaillait pas ou ne travaillait plus, cela deviendrait une honte insupportable, de sorte que des tas de gens se rendent malades en travaillant trop et plus étrange encore malades à ne plus travailler. Pourtant, si le but de travailler consistait à s’épanouir dans un métier passionnant… que nenni ! Certes, cela existe mais c’est de moins en moins le cas, même pour ceux qui ont fait des études aujourd’hui, alors que la majorité des emplois sont des emplois de merde et sont souvent complètement inutiles, stupides et dévastateurs.
Ce mouvement s’est accéléré, alors que son côté destructeur s’est amplifié de manière exponentielle, au point qu’il faut s’inquiéter de ce que nous laisserons à nos enfants ou à nos petits-enfants. Notre environnement est bien malade, alors que tous les nouveaux Don Quichotte qui se lancent à l’assaut du changement climatique ont compris (ou fait semblant de comprendre…) que la Terre est malade et qu’il faut la sauver ! Pourtant, prétendre sauver la planète est très largement exagéré et fort présomptueux de leur part, alors qu’il serait plus utile de se pencher sur notre environnement qui est menacé d’un peu partout, notamment par le comportement sans scrupules de transnationales qui détruisent consciencieusement la biodiversité à des fins mercantiles — ou qui se l’accaparent. En conséquence la biodiversité, essentielle à notre survie et à notre équilibre d’animal évolué, souffre cruellement, dès lors que nous plaçons le travail sur un piédestal et que certains érigent la « valeur travail » comme la valeur essentielle qui doit régir les hommes.
D’ailleurs, pourquoi nous amuse-t-on à vouloir sauver la planète, alors que notre comportement reste inchangé — ou plus justement celui de nos élites qui décident — et que le travail destructeur de la planète est encore et toujours valorisé ? Comment parler de sauver la planète, alors que notre gouvernement soutient ou participe à des guerres à la fois stupides et dévastatrices, qui gaspillent en quantité inimaginable nos ressources minérales et fossiles, comme si de rien n’était, tandis que nous continuons à vendre des armements de plus en plus meurtriers et exterminateurs aux quatre coins de la planète ? Est-ce pour nous faire oublier que la base des problèmes d’écologie et de biodiversité qui se posent aujourd’hui, est l’adoration du Dieu travail ? Le Dieu travail n’est-il pas la cause de tous nos malheurs ?
Sans remettre radicalement en cause la notion de travail, il n’y a pas d’écologie possible.
Danger travail !
Pour cela il s’agit de comprendre l’évolution de nos sociétés et comprendre pourquoi, alors que celles-ci s’enfoncent progressivement vers l’inconnu, c’est à ce moment-là que certains nous ressortent la valeur travail comme étant l’alpha et l’oméga de notre survie. Pourtant c’est tout le contraire : avec cette attitude d’autiste, nous allons continuer encore plus dans la même direction, celle qui nous amène directement vers le désastre. Au lieu de contester le travail aliénant et destructeur, on le sublime de la même manière qu’on le faisait dans les camps de concentration. Au lieu de libérer l’homme, on veut constamment l’aliéner à son travail, comme c’est le but aujourd’hui avec les retraites où tout gain d’espérance de vie autorisera à reculer l’âge de départ à la retraite. [1]
Le travail est à l’esclavage ce que la répression est à la dictature, une arme de même nature. Une seule chose semblerait les distinguer, c’est que la seconde est contrainte, tandis que le travail est libre : « Arbeit macht frei » ! [2] Effectivement les nazis avaient déjà bien compris la nature de celui-ci ainsi que la règle du « plus c’est gravement faux et plus ce sera convaincant », s’agissant là de faire croire que quelle que soit la situation, le travail rend libre. Et quelles que soient les conditions où celui-ci s’effectue, il s’agit de persuader tout un chacun que le travail ne représente pas à lui seul une aliénation. Comme pour bien montrer toute la perversité de cette notion, les nazis l’avaient affichée en grand, en fer forgé, à l’entrée des camps de concentration, où ces hommes et ces femmes n’étaient plus des travailleurs ni mêmes des esclaves. Ils n’étaient plus rien !
D’un coup de génie maléfique, les nazis avaient réuni les deux notions en une seule : les travailleurs esclaves, ni libres de faire leur vie à côté de l’usine comme le travailleur, ni protégés par le seigneur qui les considérait comme un bien à maintenir en état de travailler. Non, le système nazi avait inventé le must du must de l’exploitation humaine : le travailleur jetable qui mourrait en travaillant sur son lieu de travail [3]. Une idée qui n’est pas morte, bien au contraire, toujours aussi vivace, bien qu’il ait fallu faire quelques adaptations pour en retirer le côté le plus grotesque. C’est ce que nous montre si bien le système pénitentiaire étasunien, le système le plus sophistiqué qui s’est fait depuis les camps nazis : 2 000 000 de personnes astreintes au travail forcé derrière les barreaux. Un modèle qui est en train d’arriver en Europe, et dont le petit Sarkozy est un fervent admirateur.
Evidemment, plus nulle part il n’est affiché : « Arbeit macht frei ». Ce n’est plus utile : lorsque le travailleur jetable est mis à la porte, il est estampillé chômeur, la pire des horreurs pour tous les adeptes de l’idéologie du travail. Et là, au lieu de se réjouir et de se dire que c’est l’occasion de faire autre chose de sa vie de con et de son métier de merde, non, c’est devenu la honte absolue. Aberrant : on a honte de soi ! Pour beaucoup, c’est un véritable état de détresse qui fait perdre toute considération de soi et des autres, qu’il vaut mieux cacher à ses amis si l’on ne veut pas les perdre. La valeur du « trepalium » [4] est entrée au cœur de l’inconscient des individus, au point de faire croire que cette valeur — celle de l’esclavage volontaire — avait toujours existé. Bien sûr, dans cette affaire, c’est toujours la faute du travailleur lorsqu’il n’a plus de travail, bien qu’il ait été jeté par son patron qui a délocalisé sa boîte ailleurs. Le travailleur doit payer coûte que coûte ce repos forcé, et doit dorénavant se soumettre à un système de plus en plus aliénant, qui ne tient compte ni de sa personnalité, ni de ses envies, ni de son lieu de résidence et de toute la socialisation qui va avec.
Les braves gens pensent que la torture, le trepalium auquel ils participent volontairement est plus douce que le farniente. C’est qu’ils n’ont de vision que celle qui consiste à penser que la paresse est la représentation du fainéant — celui qui ne fait rien — alors que la paresse, c’est le contraire du fainéant. Ainsi, celui-ci aime à ne rien faire, à se rôtir la couenne au soleil, les pieds dans l’eau, en attendant le temps qui passe. De fait, son attitude est sans conséquence sur la nature et l’état de la planète. Tandis que le paresseux, au contraire, aime le moindre d’effort, pour ne faire que ce qui est nécessaire, car au-delà du nécessaire il ne faut tout de même pas abuser... Pourtant, doit-on condamner le fainéant à l’indignation générale ?
A vrai dire, cette position était encore intenable, il y a tout juste quelques années en arrière. Dorénavant, elle devient indispensable. Si nous voulons sauver notre environnement et notre bien-être sur cette planète, nous devons préserver la biodiversité et donc remettre en cause radicalement la notion travail. Cette biodiversité, une des principales richesses immatérielles que nous offre notre planète, ne doit pas être sauvée pour les seuls bénéfices que nous pourrions espérer en tirer un jour. C’est un argument spécieux que nous entendons couramment à ce propos, malheureusement dans la droite ligne de la valeur travail. Un mauvais argument pour une bonne cause, jugement de la valeur des choses exclusivement pour notre bien-être ou notre confort. Soyons sérieux un instant, c’est d’abord parce que la biodiversité est, qu’elle existe, qu’elle se doit tout simplement d’être préservée.
Il n’y a rien de plus terrible que d’affirmer que le drame que constitue la disparition des forêts tropicales, où en conséquence, toutes sortes de plantes inconnues disparaissent à jamais, c’est que certaines auraient pu nous être utiles. Et qu’en réalité, c’est tout cela de perdu que nous ne nous accaparerons pas. En somme, tout ce qui ne nous servira jamais peut disparaître. Dans notre conception dominatrice d’occidentaux, seul mérite d’exister ce dont nous pouvons nous servir, ce que nous pouvons utiliser, développer, exploiter, transformer en production industrielle et en monoculture et donc, au bout du compte, en travail. Seulement, la valeur travail s’oppose toujours à la valeur argent, par la magie du capital qui grignote tout ce qu’il peut pour un tout petit nombre, une petite caste de privilégiés, pendant que les miettes du gâteau sont réservées aux petites mains qui font tourner la machine industrielle. Des petites mains qui sont jetables et échangeables à la moindre nécessité...
Aussi bien pour notre bien-être que pour le seul fait qu’elle existe, nous devons respecter la biodiversité et mettre tout en œuvre pour recouvrir les terrains perdus, ce qui va évidemment à l’opposé de la valeur travail qui se cache (c’est la valeur travail qui se cache derrière la valeur argent ou le contraire ?...) derrière la valeur argent, derrière le capital. Puis comme tout le monde devrait le savoir, l’argent est bien la pire des drogues qui existe sur le marché et il se produit un manque tragique, avec tout son lot de junkies, lorsque la thune n’est pas répartie de manière plus équitable entre tous ses consommateurs.
La biodiversité est certainement la première chose à prendre en compte lors de notre court passage sur cette terre. En revanche, vouloir sauver la planète, qui n’a pas besoin de nous pour exister, est une extravagance coupable de l’espèce humaine, qui a souvent cru qu’elle était plus forte que toutes les forces naturelles. La planète en a vu d’autres : elle a notamment dû affronter des destructions partielles ou totales qui ont toujours fait ressurgir de nouvelles vies, avec de nouvelles espèces, et de ce point de vue, elle n’a pas besoin de nous pour s’en sortir toute seule. Penser que l’on serait ainsi en mesure d’influencer le destin de la terre est non seulement frauduleux, mais c’est une pensée d’essence religieuse.
Alors comme nous sommes d’essence divine — du moins le prétend-on —, nous avons l’emprise sur les éléments, nous pouvons les dominer, alors que la seule chose dont nous sommes bien capables est de massacrer avec l’allégresse du travail notre environnement, que ce soit par sa destruction pure et simple de site et de paysages ou en les salopant de manière définitive, par la pollution chimique ou radioactive, par l’érosion et la pollution des sols, par la pollution de notre alimentation ou de l’air que nous respirons, ou par l’aggravation des conséquences de catastrophes naturelles comme les inondations. Pourtant, nous ne devons pas oublier que ce genre de choses, la terre s’en charge d’elle-même, qu’elle est toujours en perpétuel mouvement où les paysages se forment, se sculptent et finalement disparaissent en quelques millions d’années. Ce qui est énorme à l’échelle humaine n’est rien à l’échelle de la terre dans l’univers. En revanche, si c’est sans conséquence pour la planète, toutes ces catastrophes sont redoutables pour l’espèce humaine ainsi que pour la faune et la flore qui nous entourent ; c’est donc notre environnement qui est directement pris pour cible, tout ce qui fait notre bien-être et notre symbiose avec notre milieu naturel.
Préserver l’environnement s’oppose au fait messianique de vouloir sauver la planète, montre au contraire la nécessité de préserver la biodiversité et d’en finir au plus tôt avec l’utilisation des énergies fossiles (nucléaire c’est fossile ?) pour développer, de manière très diversifiée, les énergies renouvelables qui existent à foison. Et tout cela ne sera que balivernes si rien n’est fait pour remettre en cause la primauté du travail dans les principales valeurs de la société. L’homme n’est pas né pour travailler mais pour vivre, et pour vivre sa vie le mieux possible, ce qui est refusé à la majorité des êtres humains.
Enfin de compte, il faut encore le répéter, ce sont les hommes et leur environnement qui sont toujours les victimes de nos bêtises d’êtres humains. Et plus précisément tous ces humains qui travaillent comme des fourmis, sans jamais s’occuper des conséquences de ce qu’ils font ou de ce qu’ils produisent, car évidemment, ce n’est pas eux qui réfléchissent et imposent tous ces projets, créations, innovations que l’on produit désormais à la chaîne. Les vrais coupables sont ces quelques poignées de responsables politiques, économiques et intellectuels laissant faire cette petite caste dirigeante qui impose depuis un peu plus de deux siècles, par une idéologie redoutable et mortifère, la tyrannie du travail.
Enfin, évoquons un représentant notoire de ce capital venant affirmer qu’il veut réhabiliter le travail. A vrai dire, il nous fait tout de suite penser à l’inscription citée plus haut et qui se trouvait à l’entrée des camps de concentration. C’est son programme : le travail rend libre, tandis que l’oisiveté amène à la délinquance. D’où l’idée de mettre cette petite délinquance en prison pour la faire travailler. Il suffit donc de favoriser la délinquance, puis de la mettre en prison, ce que les UMP-RPR-UDR et consorts ont su faire avec brio depuis une quarantaine d’année.
Justement, la prohibition des drogues s’en charge très bien et permet de remplir les prisons à vitesse accélérée, comme le modèle étasunien précité nous en donne la voie. C’est pourquoi notre homme tape avec force sur la petite délinquance, mère de toutes les oisivetés, et propose une politique qui, à l’instar de l’exemple outre-Atlantique, ont commencé à criminaliser les pauvres et à déporter ensuite toute une partie du travail vers les prisons. Le système carcéral — largement privatisé — sert désormais à fournir une main d’œuvre nombreuse, au moindre prix, pour le marché du travail. C’est la productivité à n’importe quel prix, pour enrichir une petite minorité de grands délinquants qui ont su profiter des perversités du système pour s’enrichir à la fois légalement autant qu’illégalement. Désormais, ils exploitent sans risque la petite délinquance avec les moyens régaliens de l’Etat, aussi bien par la location de prison, le travail en prison, que dans les métiers ou le matériel de sécurité. Seulement, au lieu de dénoncer cet esclavage moderne qui s’apparente au système nazi — en plus propre — on préfère dénoncer la même situation dans les prisons chinoises.
Alors réhabiliter le travail avec un slogan tel que le « travailler plus, pour gagner plus », c’est vouloir l’extension du monde carcéral à toute la société, le contraire d’augmenter les salaires en proposant seulement de travailler plus et encore plus, pour au final gagner moins. Car travailler moins est plus productif que travailler trop et au final, travailler moins nous permet de gagner plus, sans compter que tout ce temps perdu au travail, c’est du temps de vie gâchée qui ne sera jamais utilisé à autre chose qu’à produire à la chaîne, gratter du papier ou entrer des données superflues sur un ordinateur. Rien qui ne permette l’épanouissement de l’individu et la satisfaction d’avoir une tâche utile, sans compter le poids d’un encadrement dressé comme une bande adjudants-chefs, qui en demande toujours plus.
C’est déjà ce que constatait Paul Lafargue dans son célèbre essai, Le Droit à la paresse écrit en 1880, ce qui prouve à quel point nous avons régressé dans notre réflexion : « Ce que le peuple, pipé en sa simplesse (c’est bien simplesse ?) par les moralistes, n’a jamais osé, un gouvernement aristocratique l’a osé. Méprisant les hautes considérations morales et industrielles des économistes qui, comme les oiseaux de mauvais augure, croassaient que diminuer d’une heure le travail des fabriques c’était décréter la ruine de l’industrie anglaise, le gouvernement de l’Angleterre a défendu par une loi, strictement observée, de travailler plus de dix heures par jour ; et, après comme avant, l’Angleterre demeure la première nation industrielle du monde. »
Interludes
Tout et son contraire
Dire et faire le contraire de ce qu’il dit est devenu une habitude chez ce petit monsieur, mais il ne fait pas de doute que celui-ci ne se pare que d’un vague vernis démocrate, comme un camouflage, alors qu’il est manifestement proche du triptyque travail, génétique et immigration, ce qui l’apparente directement au nazisme et à son idéologie d’un homme nouveau. Sarkozy, ce n’est pas seulement la défaite du gaullisme ou de ce que l’on croit comme tel, c’est surtout le triomphe du néo-nazisme — débarrassé de sa composante antisémite — qui ne dit pas son nom et cache sa vraie nature par une sémantique ad hoc : c’est encore trop honteux !
Travailler sans vivre ou vivre sans travailler !
Le nouveau droit à la paresse doit consister à ne plus devoir travailler pour pouvoir vivre. Que tous ceux qui veulent gagner plus aillent travailler, pourquoi pas, mais en échange de déroger à la règle générale, ils arrêteront d’envier les autres et devront arrêter de se répéter qu’ils travaillent pendant que d’autres se la coulent douce parce que certains, plus conscients que d’autres de l’avenir de la planète, ne veulent pas collaborer à cette destruction collective et refusent le travail ou plutôt veulent se réaliser et travailler autrement. La paresse ne fait pas disparaître le travail en tant que nécessité pour vivre, mais tous les travaux inutiles ou qui rongent le sol de la planète !
Honneur à la paresse
La paresse, c’est aussi l’inventivité, l’imagination ou la création dans le domaine des idées. Sans paresse, il n’y a pas de véritable artiste. C’est le moment idéal pour la création avec le développement des idées et de la synthèse. Sans paresse, il n’existe pas de véritable création. Celle-ci ne peut pas se développer dans l’agitation frénétique mais dans la méditation, le rêve éveillé et la contemplation. Le « travailler plus » n’est pas seulement une aliénation, c’est une manière de tuer l’art avant sa création, au profit exclusif de l’art officiel.
Erigeons une statue à l’art de la paresse
Au lieu de stigmatiser les paresseux, les fainéants, les bons-à-rien, les tire-au-flanc ou les peignes-culs, nous ferions mieux d’admirer leur abnégation. Dressons-leur des lauriers, érigeons-leur des statues et donnons-leur de quoi vivre décemment, afin de les laisser vaquer à leur vie en paix à ne rien faire que ce qui leur plaît. Et au lieu de les envier, il vaudrait mieux avoir le courage de faire de même.
Déculpabilisons les héros du non-travail
Il faut en finir avec ce sentiment de culpabilité qui s’est ancré au plus profond d’entre nous, de tous ceux qui ne travaillent pas comme de tous ceux qui travaillent, plus par la contrainte sociale que par l’envie, l’amour du travail ou une dévotion à la valeur travail. Au contraire, ce trepalium leur pèse comme un boulet, au point que nombreux sont ceux qui se suicident, car ils ne peuvent plus supporter ce décalage entre ce qu’ils voudraient et ce que la société les oblige à être. Une situation vécue par tous ceux qui pensent se sacrifier au travail par devoir et qui, en réaction, envient ceux qui ne le font pas, au point d’avoir de la haine pour ceux qui n’acceptent pas le culte qu’ils vouent au Dieu travail.
Travailler moins pour gagner plus
Si nous voulons préserver la planète et notre environnement, il nous faut dorénavant accepter tous ceux qui ne veulent pas travailler ou qui veulent cesser de travailler : ce n’est pas un mal, bien au contraire. Comme nous l’avons démontré, le « travailler plus pour gagner plus » n’est qu’un affreux mensonge, car le travailler plus aboutit forcément à gagner moins, ce qui désormais se vérifie sur le terrain. Travailler plus, c’est aussi accumuler de fortes doses stress et donc à la longue faire du mauvais boulot sur de mauvaises motivations, et en conséquence devenir un poids à la charge de la société.
La meilleure solution consiste à travailler moins pour gagner plus. Ainsi, au lieu de vouloir mettre tout le monde au boulot et demander au travailleur de travailler encore plus, jusqu’à l’épuisement, il serait plus urgent de demander à ceux qui travaillent trop de travailler moins et à ceux qui n’ont pas ou plus envie de travailler d’arrêter de travailler, et de s’essayer à d’autres activités plus épanouissantes.
Le travail : une idéologie mortifère !
En finir avec l’idéologie du travail ne signifie pas qu’il faut en finir définitivement avec le travail, au point que celui-ci disparaisse complètement - ce qui n’adviendra jamais -, mais de le remettre à la juste place à laquelle pendant des siècles il a été considéré, comme une contrainte insupportable à réserver à tous ceux qui se trouvaient en bas de l’échelle comme les esclaves. Et le travail salarié est bien la forme moderne de l’esclavage, surtout si le système — et donc les salariés — est tenu par un fort taux de chômage.
[1] Ceci est une formidable arnaque qui ne dit pas son nom. On peut douter des chiffres que l’on nous annonce et qui font autorité — alors que derrière se cache une idéologie politique prête à tout pour s’imposer —, comme le fait que nous gagnerions actuellement un trimestre d’espérance de vie tous les ans (???), alors que notre environnement n’a jamais été aussi mortifère qu’aujourd’hui, avec tous ces produits chimiques sont déversés dans la nature et notre alimentation. Pourtant, dans les statistiques mortuaires, cette évolution n’a pas encore pu se voir réellement, étant donné que nous sommes encore en train d’enterrer des gens qui ont vu de leur vivant toute cette évolution, et qui grosso modo ont mangé et respiré sain toute une partie de leur vie, spécialement lors de leur croissance. Comment, en revanche, ne pas s’inquiéter pour les dernières générations, dont nous pouvons déjà affirmer qu’elles n’auront jamais une telle espérance de vie, et que celle-ci va commencer à s’effondrer progressivement malgré les traficotages des statistiques. Prétendre que notre espérance de vie va continuer à augmenter exponentiellement est digne des théories fumistes de Lyssenko sur la biologie et la génétique.
[2] « Arbeit macht frei » : le travail rend libre. Tel était le slogan en lettres de fer forgé placé juste au-dessus de l’entrée des camps de concentration nazis. On peut toujours penser que les nazis avaient de l’humour, ce qui n’est pas le cas, au contraire, il montre qu’il s’agissait d’afficher à quel point l’homme dépendant de son travail est un esclave libre. Un esclave libre est un prisonnier comme le démontrait si bien le camp de concentration.
[3] Le communisme soviétique, à la même époque, ne fit pas mieux, et peut être assimilé à cette même notion de la valeur travail ; d’ailleurs, comme l’a si bien montré Hannah Arendt dans Le système totalitaire (Editions du Seuil - 1972), les deux systèmes ont plus d’analogies que de divergences. Ces deux idéologies qui semblent à l’opposé l’une de l’autre se ressemble plus par le système totalitaire mis en place que sur les fondements de l’idéologie. Tous les systèmes totalitaires finissent par se ressembler, et le système capitaliste et prohibitionniste actuel semble s’être nourri des deux idéologies pour nous créer un système totalitaire à la fois plus subtil et à la fois plus prégnant.
[4] Le trepalium est cet instrument de torture à trois branches utilisé par les romains et qui a donné tardivement le mot travail, apparu dans la langue avec l’ère industrielle. D’ailleurs, c’est une dérive typiquement française qui a consisté à passer du mot labeur, “labor” en latin, à celui de travail ; longtemps, cependant, on a tenté d’en dissimuler l’origine exacte. Ainsi, au cours du dix-neuvième siècle, on a donné comme seule origine du mot travail le latin “trabs” qui voulait dire poutre. Il semble en fait que cette confusion vient de la manière dont on tenait les chevaux pour les ferrer, attachés au travail contraint avec quatre poutres. Une méthode qui était inspirée de l’instrument de torture romain, composé de trois poutres, le trepalium.