Premier livre de 6, Deal est une plongée ultra réaliste dans la tête, le quotidien d’un jeune devenu dealer dans les années 90. Mais un de ceux dont on ne parle jamais. La face cachée de la pyramide. Sec et provocateur, ce récit d’une trajectoire personnelle est aussi celui d’une époque et de tout un système, que l’on ne connaît souvent que par le prisme des médias. Un roman noir impossible à lâcher.
Critique parue dans "Le Mondre des livres", 7/6/25
NOIR
Fume, c’est du « tcherno »
C’est un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. Un
temps où il fallait « être recommandé et accompagné, car les dealers ne
vendaient qu’aux clients identifiés et validés ». Un temps où le deal de
drogue n’avait pas atteint le stade industriel et où les cryptomonnaies
appartenaient au registre de la science fiction. Acheter son « tcherno »,
du haschich de mauvaise qualité, revenait à toquer à la porte d’un
« brasseur », un revendeur, écluser une bière tiède sur son canapé taché
et repartir avec son « 20 grammes » de fumette en poche.
Dans la Grenoble grisailleuse des années 1990, le narrateur du percutant
Deal est l’un de ces consommateurs devenus dealers, maillon infime de la
chaîne du trafic. Avec Bébé, Sam, Lilith, il connaît les affres de
l’addiction, les « carottes » – le vol de produit –, les virées
nocturnes glauquissimes. Du quotidien de cette cohorte de cramés, Deal
raconte les errances. Il offre aussi une réflexion sur la prohibition,
détaille l’arrivée de la cocaïne et les réactions d’un milieu
italo-grenoblois autrefois florissant et en passe, déjà, d’être dépassé
par les événements. A bonne distance des déclarations martiales sur les
méfaits de la drogue, l’auteur, le mystérieux « 6 », ne pose pour autant
aucun voile sur la vie envapée des dealers-revendeurs, sur leurs
misérables coups de vice et l’absence à peu près totale de scrupules
d’un milieu pourri jusqu’à l’os, où les moins chanceux finissent en
« gueules cassées pataugeant dans la boue glaireuse de leurs regrets ».
Difficile de ne pas imaginer que l’auteur de Deal, planqué derrière son
pseudonyme mononumérique, a bel et bien connu cette période dans ses
moindres détails – comme acteur du trafic, s’entend. Au confluent de la
fiction et du témoignage, ce récit sec, nerveux, teinté d’un humour
désespéré, s’impose comme un jalon de l’abondante – et fort inégale –
production romanesque consacrée au trafic de stupéfiants.
Antoine Albertini
Deal, de 6, Nouveau Monde, « Sang-froid », inédit, 274 p., 9,50 €,
numérique 8 €.
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