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Demain les troupes occidentales quitteront Kaboul

Plaidoyer pour le développement de l’industrie pharmaceutique afghane

Demain, les troupes occidentales quitteront l’Afghanistan, et il ne restera plus qu’à attendre le retour des Talibans...

À cette heure particulièrement dramatique où il est question de voir les femmes afghanes retomber sous le joug de ceux qu’il n’était pas exagéré d’accuser de sexocide, il n’est pas inutile de rembobiner, et de refaire la chronologie de ces dernières décennies d’histoire afghane, si pleine de rebondissements, si dramatique.

1979… En décembre, l’armée rouge intervient en soutien d’un coup d’État militaire qui s’était produit quelques mois plus tôt, instaurant la République démocratique d’Afghanistan. Certains se souviennent du secrétaire général du parti communiste français de l’époque, Georges Marchais, qui n’avait pas hésité à prendre la défense de cette intervention coloniale soviétique en faisant valoir qu’il était question d’y lutter contre « le droit de cuissage ». Cela aura beaucoup fait rire. Rétrospectivement, il n’est pas interdit de relever que l’expression maladroite de Marchais recouvrait une réalité : la république socialisante afghane avait, dès le départ, proclamé l’égalité des hommes et des femmes et fondé l’État sur les valeurs de l’athéisme, de même qu’elle interdisait les mariages forcés... Et on ne peut que relever qu’on en est loin aujourd’hui.

Contre l’armée et l’ordre socialiste, le peuple musulman des campagnes se soulèvera, sous la direction de divers chefs, parmi lesquels se distingueront, entre autres, Gulbuddin Hekmatyar, dans la région pashtoune frontalière avec le Pakistan, et celui qu’on appellera le commandant Massoud, dans la région tadjike, et dans sa fameuse vallée du Pandjshir, au nord-est du pays. Le premier sera dès le départ soutenu par les services pakistanais, et financé par le trafic d’opium que ceux-ci organisent. Le deuxième résistera avec beaucoup moins de moyens mais une belle énergie guerrière.

Autant la résistance des moudjahidins d’Hekmatyar bénéficiait de beaucoup d’aide internationale, en particulier américaine, autant celle de Massoud n’avait que la sympathie de la presse et des promesses des français et des anglais, assez peu suivies d’effet. C’est surtout sur la deuxième toutefois que les russes se casseront les dents, tentant sans succès de liquider la résistance dans le Pandjshir, où, offensive après offensive, alors que l’armée rouge envoyait des pluies d’hélicoptères et des tanks en pagaille, les hommes de Massoud parvenaient toujours à se replier sans pour autant céder, reprenant l’offensive aussitôt après.

En 1989, l’armée rouge se retirait, ouvrant la voie à l’effondrement de l’empire soviétique, et commençaient trois années de guerre civile, d’abord avec le soutien soviétique, jusqu’à la victoire de la résistance en 1992 qui instaure un Etat islamique d’Afghanistan, au gouvernement duquel se retrouvent Hekmatyar, comme premier ministre, et Massoud, comme ministre de la Défense. Islamiste « modéré », ce gouvernement finira par imposer l’interdiction des femmes comme présentatrices de journal télévisé, et divers reculs symboliques qui lui feront perdre le soutien d’une bonne part de la population de Kaboul, attachée aux aspects positifs du régime socialiste vaincu, telles les avancées du droit des femmes.

En 1994, apparaissent tout d’un coup les Talibans, semblant surgir de nulle part. Ils s’emparent très vite des bases arrières d’Hekmatyar, et même de la ville de Kandahar. Ils apparaîtront bientôt comme l’émanation des services secrets pakistanais et américains, qui, après avoir longtemps soutenu l’intégriste Hekmatyar, lui préféraient cette secte ultra-intégriste. Grâce à la manne de l’opium qu’ils développeront, rien ne leur résiste, pas même le grand chef de guerre Ismaïl Khan, héros de la guerre contre les russes, et installé dans sa forteresse imprenable de Hérat, qui préférera s’en aller avec une valise dollars et laisser la ville aux Talibans.

Lorsque ceux-ci finissent par prendre Kaboul, en 1996, seul Massoud maintiendra la résistance, dans la vallée du Pandjshir, comme aux temps de l’occupation soviétique. L’ambassadeur américain au Pakistan renoncera à la dernière minute à venir féliciter ses poulains talibans pour leur triomphe. La petite histoire dit que le tapis rouge était déjà déroulé à l’aéroport pour sa venue, quand un coup de téléphone de la Maison blanche lui ordonnait in extremis de renoncer à ce voyage, de crainte que ceci soulève des critiques du côté des féministes américaines…

En effet, le radicalisme anti-féministe et plus généralement liberticide des Talibans ne tardera pas à leur valoir la mise sous embargo diplomatique de l’ONU. Il n’y aura alors à Kaboul que la mission archéologique française, présidée par un ancien ambassadeur de France au Pakistan, un certain Lafrance, comme unique représentation diplomatique internationale auprès des Talibans. Les services français, grands spécialistes de politique arabe et musulmane au moins depuis Liautey (au début du XXe siècle) et Louis Massignon (entre deux guerres et après), trouveront là leur miel.

La diplomatie française sera (et est toujours) aussi farouchement pro-talibane qu’une journaliste plutôt prudente, Françoise Causse, pourra titrer son livre « Quand la France préférait les Talibans » (aux éditions de Paris). On trouvait alors des posters de Mollah Omar dans des bureaux du Quai d’Orsay. Et quand le commandant Massoud fera son unique sortie après un quart de siècle de guérilla, ce sera pour se rendre à l’invitation du parlement européen, à Strasbourg, mais il ne sera reçu ni par le Quai d’Orsay, ni par l’Elysée, ni par aucune autorité représentant l’Etat français, lors de son passage à Paris, où il donnera une pauvre conférence de presse et n’aura les hommages que de Bernard-Henri Lévy.

Peu après Massoud était liquidé par deux agents kamikazes tunisiens, armés d’une caméra de FR3…

Deux jours après sa mort, les tour jumelles de Manhattan implosaient, et les Talibans étaient dégagés de Kaboul, chassés par les troupes de Massoud… privées de leur chef. Sur quoi débarquaient les troupes américaines, en fait inutilement puisque les Talibans avaient déjà filé sans beaucoup d’armes ni de bagages en direction de leurs bases pakistanaises d’origine. L’occupation américaine permettra d’installer Hamed Karzai à la présidence ainsi qu’un régime gangréné par la corruption, à base de trafic d’opium – l’essentiel de la production restant toutefois, dans la zone pashtoune, entre les mains des services pakistanais et de leurs amis talibans.

Lorsque demain les troupes occidentales se retireront d’Afghanistan, il y a fort à parier que le régime qu’elles laisseront derrière elles résistera encore moins que jadis n’avaient su le faire les communistes après le retrait de l’armée rouge.

Faut-il insister pour faire comprendre ici combien cela sera une catastrophe ? Non seulement la société afghane est destinée à en prendre plein la gueule, non seulement les femmes sont promises à l’enfermement absolu dans un mouroir aux dimensions d’un grand pays, mais pire encore si possible, sera alors proclamée à la face de tous l’impuissance du droit international. De même qu’aujourd’hui en Syrie, pourrait-on dire, sauf que de façon encore plus criante, puisque cela se produira après qu’une coalition internationale ait tenté de le faire valoir, et ce à grand frais (au prix d’une crise mondiale sans précédent). Ainsi sera affiché le droit des bandits à faire la loi…

Pour empêcher une telle catastrophe, il y a un moyen, simple, peu coûteux, mais qui demanderait à être mis en œuvre de toute urgence : installer une industrie pharmaceutique en Afghanistan ; accorder à celle-ci une licence pour produire de la morphine à destination de tous les hôpitaux du monde qui en manquent cruellement.

Il s’agirait d’offrir un débouché légal aux paysans afghans qui produisent aujourd’hui de l’opium à destination du marché mondial de l’héroïne clandestine. Ainsi, le flux de l’argent de l’opium n’alimenterait plus la guérilla des Talibans, mais servirait au contraire à consolider une économie légale.

Privés de ce « nerf de la guerre », il fait peu de doutes que l’intégrisme taliban péricliterait aussi vite qu’il est apparu.

Bien sûr, les services secrets américains et français, qui depuis la lointaine époque de la French connection n’ont pas cessé de se financer sur la base de ce trafic international risqueraient d’être fort déçus… Pour eux aussi, c’est le « nerf de la guerre », le moyen de s’autofinancer perpétuellement, échappant au contrôle démocratique des Etats.

Mais peut-être auront-ils du mal à plaider leur intérêt ? L’intérêt qu’ils ont à entretenir l’intégrisme mondial, comme dans le désert malien aujourd’hui, où ils rêvent de voir s’instaurer la « république saharienne » fantasmée jadis par le général de Gaulle…

L’intérêt du peuple afghan par contre est plus qu’évident.

Celui du droit international aussi.

Celui des femmes.

Et même celui de tous les malades hospitalisés dans le monde entier où des rapports de l’OMS successifs confirment qu’il manque de morphine dans les hôpitaux de 80% des pays de la planète.

Que les troupes françaises et américaines se retirent vite ? Soit. Elles auront fait plus de mal que de bien en dix années d’intervention où on aura enregistré plus de « bavures », permettant de légitimer l’opposition talibane, que d’actions intelligentes en soutien de la société civile.

Surtout, on peut relever maintenant que ces dix années de guerre auront permis de développer les budgets militaires extravagants qui ruinent l’économie mondiale. Au bout de dix ans d’efforts, la dépense militaire mondiale aura doublé… et la crise économique que celle-ci entraîne explose partout sur terre, promettant des lendemains plus que difficiles.

Pis : l’intégrisme, financé grâce à cette manne sans limites de l’opium, sera parvenu à déferler jusqu’au cœur de l’Afrique, pour faire sauter les marabouts de Tombouctou après les bouddhas de Bamiyan.

Encore une fois, pour mettre un coup d’arrêt à cette horrible dynamique, il y a un moyen simple : racheter leur production d’opium aux paysans afghans pour alimenter une industrie qui fournirait de la morphine aux hôpitaux du monde entier qui en manquent.

Combien de fois faudra-t-il le répéter ?


Paris s’éveille

Lien vers la page spéciale de l’ICOS, le think tank international qui a pris la peine de détailler cette solution « poppy for medecine », « du pavot pour des médicaments ».

Voir en ligne : Pour lire l’article original sur le site Parisseveille.info

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